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nelle de George III. Dans les deux cas, George III s’obstina, parce qu’il prétendit que son honneur de roi était en question ; dans les deux cas, la tranquillité et la grandeur de l’Angleterre firent les frais de la manie royale, parce que George, ne voulant avoir pour ministres que des instrumens, ne put avoir pour instrumens que des hommes stupidement entêtés ou honteusement faibles, à qui manquaient l’autorité personnelle, cette suprématie morale qui commande dans le présent aux esprits et aux âmes, et la prévoyance, cette seconde vue du génie, qui commande pour ainsi dire à l’avenir.

L’affaire de Wilkes éclata en 1763, quinze jours après l’avènement du ministère Grenville. L’histoire de cet homme est bien connue. Il était le fils d’un riche brasseur. Élevé en gentleman à cause de sa fortune, il s’était lancé de bonne heure dans la vie du monde, qui a toujours été très mêlée en Angleterre à la vie politique. C’est ainsi que Wilkes se trouva d’abord le compagnon de plaisirs de quelques-uns des hommes que, dans la suite, il harponna le plus cruellement de sa plume de pamphlétaire et qui furent ses plus acharnés persécuteurs. Il avait été, par exemple, membre de la licencieuse confrérie de Medmentham-Abbey. Une ancienne abbaye, située dans un des plus jolis paysages des bords de la Tamise, fut choisie par une douzaine d’élégans mauvais sujets, au nombre desquels était Wilkes, pour le théâtre de leurs profanations libertines. Ces dignes enfans du mauvais XVIIIe siècle prenaient eux-mêmes par moquerie le nom de Franciscains. Ils avaient placé sur le portail de leur obscène couvent la devise rabelaisienne : « Fay ce que voudras ! » D’autres inscriptions latines ou françaises affichaient dans les bosquets et sur les murs leur impudente immoralité. Le frère Jean des Entomures de cette abbaye de Thélême grimée à l’anglaise était sir Francis Dashwood, un riche baronnet qui devint plus tard le chancelier de l’échiquier de lord Bute. Il fallait à sir Francis, pour que l’orgie fût complète, y mêler l’épice du sacrilège. Dans les réunions de ses moines, ce futur ministre revêtait la robe de capucin et entremêlait ses débauches de cérémonies imitées du culte catholique. Si Wilkes se fit dans ce monde des amis qui ne lui servirent guère, il paya cher le droit qu’ils lui donnèrent de les mépriser ; il s’y ruina. En 1757, il avait trente ans et il était entré à la chambre des communes. Quoiqu’il eût de l’esprit et la parole leste, il n’y eut aucun succès oratoire. Il essaya du moins de tirer parti de sa situation politique ; il voulait une place : l’ambassade de Constantinople ou le gouvernement d’une colonie. Il fut refusé et attribua son déboire à lord Bute. De là sa fureur contre le favori et sa carrière de journaliste. Wilkes fonda le North Briton de concert avec un clergyman défroqué, Churchill, qui était aussi un remarquable poète satirique. Il fut poussé et soutenu dans sa nouvelle voie par lord Temple. Wilkes était repré-