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était leur ami. Il fit lire par le duc de Newcastle le projet de son discours au parlement, dont, contre l’usage, il n’avait pas confié la rédaction aux ministres. Il y déclarait, au sujet de la grande question du moment, la guerre avec la France, qu’engagé dans une guerre sanglante avec la France, il la conduirait de manière à obtenir une paix avantageuse et durable. Pitt fut profondément blessé de cette déclaration, pour trois motifs : d’abord, cette guerre était son œuvre et sa gloire, et l’on en faisait l’objet d’un paragraphe aussi significatif dans le discours royal, sans l’avoir consulté ni même averti. On représentait cette guerre comme sanglante : « pour ce qui concerne l’Angleterre, c’est faux, disait Pitt ; nous sommes vainqueurs sans désastre, l’Angleterre est sine clade victor. » Enfin l’on ne mentionnait pas les alliés, lorsqu’il était notoire que l’Angleterre leur devait tant, surtout à Frédéric II. La phrase fut modifiée dans le sens des observations de Pitt : « Je monte sur le trône, disait le roi, au milieu d’une guerre coûteuse, mais juste et nécessaire, et je m’efforcerai de la conduire de façon à produire une paix honorable et durable de concert avec mes alliés. » Le premier coup n’en était pas moins porté à l’initiative indépendante du cabinet, et d’ailleurs l’homme du roi, lord Bute, entra aussitôt dans le ministère comme secrétaire d’état.

La pierre d’achoppement fut la paix. Le roi la voulait, lord Bute la voulait ; la majorité du cabinet, ayant à sa tête les trois ducs de Bedford, de Devonshire et de Newcastle, la voulait également. Pitt et lord Temple la repoussaient ; Pitt faisait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher les négociations d’aboutir. Il voulait, suivant son expression, « mettre la France à genoux. » Il rédigea une réponse à l’ultimatum français, qu’il apporta au cabinet non comme un document à discuter, mais comme une décision à sanctionner. Il y eut plusieurs conseils des ministres si orageux, que les ducs de Bedford et de Devonshire résolurent de ne plus assister aux réunions du cabinet. George III et lord Bute soutenaient les pacifiques et irritaient leurs ressentimens contre la tyrannie de Pitt. Le duc de Newcastle écrivait que la conduite de Pitt était aussi mauvaise, aussi injuste, aussi hostile, aussi impraticable qu’elle l’eût jamais été. Il aurait pourtant désiré que l’on retînt Pitt dans le ministère. « C’est impossible, » lui répondit lord Bute. L’occasion de la rupture fut la manœuvre politique hardie et heureuse par laquelle le duc de Choiseul releva les chances de la France en s’unissant à l’Espagne et en faisant le pacte de famille. Pitt irrité exigeait que la guerre à l’Espagne fût immédiatement déclarée. À l’exception de son beau-frère, lord Temple, tous les ministres se prononcèrent contre cette résolution. Alors Pitt déclara que c’était la dernière fois qu’il siégeait dans le conseil. « J’ai été appelé au ministère, dit-il, par la voix du peuple, je lui dois compte de ma conduite, et je ne peux rester plus