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y faisant entrer des personnes plus convenables, et non celles qu’on y a introduites, qui se sont distinguées notoirement par une opposition constante à mon gouvernement.

— Si le but de ces changemens était de gagner de la force, il fallait choisir les personnes qui peuvent en apporter. Autrement, ce qu’on eût fait n’eût servi de rien. Le concours de tous les chefs de parti, sans aucune condition de nature à décourager vos vieux amis, est une force réelle pour la couronne. D’ailleurs, sire, les ministres ne sont que vos instrumens de gouvernement.

— Les ministres ! interrompit le roi avec un aigre sourire, les ministres sont le roi dans ce pays.

Le chancelier balbutia une dénégation polie et le supplia, quelles que fussent pour l’avenir ses intentions à l’égard du ministère, de ne point gâter ses affaires présentes.

— Quant à mes affaires, répliqua le roi, je suppose que vous en avez eu soin. Si vous ne vous en êtes pas occupé, ou si vous ne réussissez pas, c’est à vous que la nation s’en prendra[1].

Ce fut son dernier mot : lord Hardwicke ne put lui arracher une autre réponse. Comme son père, George II renvoyait la responsabilité à ses ministres. Il maugréait, mais il cédait, et l’on peut définir d’un mot les relations des deux premiers George avec les whigs, représentés par les grandes maisons aristocratiques : les George régnaient et les whigs gouvernaient.

George III monta sur le trône avec le dessein et avec le pouvoir d’affranchir la royauté de cette impérieuse alliance. Déjà, depuis de longues années, la pensée de restituer à la royauté un rôle plus libre et plus actif dans la constitution anglaise avait été publiquement émise et développée avec éloquence. Bolingbroke s’était fait le brillant vulgarisateur de cette doctrine. Il était arrivé à cet homme d’esprit ce qui arrive trop ordinairement aux hommes politiques : sa théorie n’était que la contre-épreuve des exigences de sa position particulière. Bolingbroke avait été le dernier ministre tory. Les whigs l’avaient proscrit en 1715. Malgré ses intrigues, il n’avait pu obtenir qu’une amnistie incomplète. En le laissant rentrer en Angleterre, Walpole, son vieil ennemi, ne l’avait pas réintégré dans la chambre des lords. Il se voyait donc exclu par la confédération des whigs de la scène politique où ses débuts l’avaient placé au premier rang, qui était l’élément vital de son génie, hors de laquelle l’existence ne lui était plus qu’un long et humiliant supplice. Il n’avait rien à espérer du côté des whigs ; il se tourna vers la royauté. La ligue de ses ennemis était le même parti qui enchaînait l’initiative de la royauté ; les mêmes hommes qui te-

  1. Life of lord Hardwicke, t. II, p. 106.