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le sentiment des autres que par les analogies qui les unissent au présent qui nous emporte. Ce sont les fortunes de notre temps qui nous donnent le jour et le point de perspective. Heureux et glorieux, nous ne voyons que les toiles héroïques du passé ; malheureux, nous nous arrêtons aux autres, et nous y cherchons des enseignemens et des consolations. C’est pour cela qu’il y a quelque intérêt, dans l’épreuve que subissent en Europe les institutions représentatives, à jeter un regard sur les infirmités qui les ont long-temps humiliées en Angleterre. D’ailleurs l’histoire des mauvais jours du peuple anglais, quand on songe au lendemain qui les a suivis, demeure toujours pour les autres peuples une forte école d’espérance.


I.

C’est au milieu du XVIIIe siècle, lorsque le gouvernement de l’Angleterre était ce que nous allons dire, que l’Europe commença d’admirer les institutions anglaises. Montesquieu et Delolme traçaient alors le portrait idéal et abstrait de la constitution britannique. Le point de vue choisi par les publicistes du XVIIIe siècle a nui assurément à l’établissement des institutions représentatives sur le continent. Quintessenciée en théorie, la constitution anglaise semblait réaliser, avec la pondération savante de ses pouvoirs, la perfection du gouvernement politique. De là les espérances excessives et inévitablement chimériques que cette forme de gouvernement a données à ceux qui l’ont essayée, et les impatiences trompées auxquels l’ont sacrifiée les esprits qui en attendaient de trop heureux et trop prompts résultats. Nous en aurions mieux compris le vrai caractère, et l’on eût été moins injuste envers elle, si nous avions étudié la constitution anglaise dans l’histoire du peuple anglais, au lieu de la contempler dans les ingénieuses déductions des philosophes. Nous aurions appris à cette école qu’il est absurde de demander aux institutions les plus sages et les plus vantées un gouvernement qui supprime tous les maux, réalise tous les biens, résolve toutes les difficultés et comble tous les vœux ; nous y aurions appris que les bonnes constitutions sont faites dans la supposition des vices des hommes, et non dans l’hypothèse de leurs vertus ; nous y aurions appris que, de ce qu’une forme de gouvernement paraît la plus raisonnable et la plus conforme à la liberté, à la dignité et au bonheur d’un peuple, il ne s’ensuit point que le mécanisme fonctionnera toujours sans broncher ; nous y aurions appris que, dans un état libre surtout, rien ne marche logiquement et en ligne droite, et que la constitution y doit conserver une élasticité qui lui permette de concilier à la longue toutes les forces, tous les intérêts qu’elle met en jeu. Un peuple, avec la meilleure des constitutions, peut être, par