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REVUE DES DEUX MONDES.

Les portes de celle-ci, complètement brisées, laissaient un libre passage aux eaux, qui la traversaient avec de lugubres bouillonnemens. Sur l’esplanade qui la séparait de la maison enflammée, se tenaient Konan le fusil sous l’aisselle, Guy-d’hu la hache à la main, et Laouik occupé à lancer dans le canal les derniers débris.

À cette vue, le bossu et Nicole s’arrêtèrent comme foudroyés ; mais Hoarne s’élança en avant. Déchiré par les ajoncs qu’il venait de traverser, la tête nue, pâle de désespoir et de colère, il tomba pour ainsi dire au milieu de l’espace qu’éclairait l’incendie, et sembla compléter cette scène terrible.

Au cri qu’il jeta, Guivarch s’était retourné ; il tressaillit en le reconnaissant et recula de deux pas.

— Malheur ! dit-il, l’homme de l’écluse n’était pas chez lui.

— Scélérat ! répliqua Hoarne, tu croyais donc m’avoir brûlé avec mon logis ?

Il avait fait un mouvement vers Konan ; celui-ci souleva son fusil.

— N’approche pas, dit-il d’un accent farouche.

— Bas cette arme, vagabond ! cria l’éclusier.

Guivarch ne répondit rien, mais la batterie craqua sous ses doigts. Nicole, qui venait d’arriver, courut à son père et voulut l’entraîner en arrière ; Hoarne exaspéré résista.

— Non, s’écria-t-il en se débattant, il ne sera pas dit qu’un gueux de la montagne aura impunément brûlé mon toit et saccagé l’écluse remise à ma garde ; j’ai déjà dépensé trop de patience avec cette portée de loups, il faut que j’en finisse.

— Viens donc, si tu l’oses, répondit Guivarch en ôtant son chapeau de paille à larges bords et le jetant entre lui et l’éclusier ; voilà que je t’aborne : fais seulement un pas de trop, et tout sera dit !

À cette forme antique de défi conservée dans nos campagnes, et qui, comme le gant jeté du moyen-âge, semble mettre en demeure le courage de celui auquel on l’adresse, Hoarne se retourna, et, échappant aux mains de la jeune fille, se précipita sur Konan le bâton levé ; mais au moment même où son pied heurta le chapeau, un éclair brilla suivi d’une détonation. Il s’arrêta court, étendit les bras et se laissa tomber avec un gémissement. Le coup de fusil l’avait atteint au côté. Nicole éperdue s’élança vers lui.

— Ah ! Jésus ! vous êtes blessé ! s’écria-t-elle.

— Tué ! bégaya l’éclusier, qui portait instinctivement la main à son flanc troué.

La jeune paysanne voulut le soulever dans ses bras ; mais Guivarch, rendu fou par la vue du sang, leva sur lui la crosse de son fusil en criant : A mort ! et se mit à frapper avec une rage égarée. Nicole tendit vainement les mains pour détourner les coups ; vingt fois atteint,