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REVUE. — CHRONIQUE.

qui leur est posée par la présence même du prince-président de la république au milieu d’elles. Cette réponse, à coup sûr, n’est plus douteuse aujourd’hui. Le voyage du prince Louis-Napoléon avec ses incidens et ses conséquences, telle est donc l’unique préoccupation du moment. L’Europe a l’œil tourné vers le midi, comme la France, car, en dépit de ses désastres, c’est là un privilège qui reste toujours à notre pays : son histoire est celle du monde. Les grandes affaires de la civilisation sont celles où la France a la main. Les hommes qui acquièrent une notoriété universelle sont ceux qui l’obtiennent par nous, souvent à notre détriment. Dans ce va-et-vient des révolutions contemporaines, si la France change, l’Europe reste-t-elle donc la même ? Ne se transforme-t-elle pas, elle aussi ? ne voit-elle pas s’épuiser ses vieilles générations d’autrefois ? Tandis que se manifeste de nouveau parmi nous le signe des résurrections impériales, tandis que nous allons renouer les traditions de 1804, voici que la mort vient saisir un des plus grands antagonistes du premier empire, — le duc de Wellington disparaissant plein de jours et de renommée.

C’était le dernier survivant peut-être de cette féconde année 1769, qui a produit Napoléon, le maréchal Soult, Chateaubriand, Walter Scott, Talleyrand. Par un côté de sa vie et de son caractère, le duc de Wellington était un personnage purement anglais ; par un autre côté, par le rôle qu’il a joué, c’était un personnage européen. Nul homme n’a pesé plus que lui du conseil et de l’épée dans la balance des affaires du continent. Quel intérêt pourrait-il y avoir pour nous à diminuer cette grande gloire, à montrer que nos armées n’ont eu à se mesurer qu’avec un antagoniste vulgaire ? Et en même temps, nous nous demandons ce qu’il peut y avoir d’utilité et de vérité historique à mettre en parallèle les noms de Napoléon et de Wellington. Quand ces deux hommes se sont trouvés en présence, ce n’était point à coup sûr une lutte de génie à génie ; c’étaient, si l’on nous passe le terme, deux situations qui s’entrechoquaient. Ce qu’on peut dire de plus vrai, c’est que le duc de Wellington a été à la hauteur de celle où sa fortune le plaçait. Arthur Wellesley avait fait sa première éducation militaire dans une école française, à Angers, bien avant la révolution. Trente ans plus tard, il se trouvait sur notre sol en général victorieux ; mais dans l’intervalle il avait fait la guerre dans l’Inde, et on dit même que le général Harris augurait peu favorablement de son avenir, après un engagement où il avait figuré. La grande carrière militaire de lord Wellington ne commence qu’au moment où il se jette en Espagne à la tête d’un corps peu nombreux et difficile à faire vivre au milieu des privations. La tâche ne devint pas plus aisée, lorsqu’il fut mis plus tard à la tête des armées alliées d’Espagne et de Portugal, et qu’il eut à maintenir la discipline parmi ces bandes peu faites à supporter un joug. Il faut lire la volumineuse et instructive collection des dépêches[1] du duc de Wellington pendant cette guerre, pour voir ce que c’était que cette nature forte et positive, inaccessible à l’enthousiasme et au découragement : ce n’était point un héros selon notre idéal, c’était un héros anglais ; il n’avait pas l’éclat du

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1839, où ces dépêches sont appréciées et analysées dans un beau travail de l’un de nos anciens collaborateurs.