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LE ROMAN ABOLITIONNISTE EN AMÉRIQUE.

politiques qui ne sont jamais qu’une lettre morte, plus ou moins, et auxquelles personne ne se croit tenu de prêter main-forte, que beaucoup même refusent d’exécuter.

À ce récit, plein de sensibilité et de douce ironie, succède un tableau charmant, tout reluisant d’une grâce sévère. Nous sommes transportés au milieu d’une famille de quakers qui a donné asile à Éliza, toujours errante et fugitive, car Haley, le marchand d’hommes, la presse et la suit à la piste. Pour être mieux sûr de ne pas manquer sa proie, il a fait je ne sais quel honteux marché avec un certain Tom Loker, un autre marchand d’esclaves, un coquin brutal qui ressemble à un boule-dogue habillé, et avec un certain Marks, espèce de fouine humaine et de furet friand de chair noire. Ces deux honorables et très complètes incarnations de la bestialité humaine se sont chargées de rattraper Éliza et son enfant, et George, le mari d’Éliza, et je ne sais encore quels autres esclaves. Pour le moment, Éliza est en sûreté auprès de Siméon et de Rachel Halliday. Voici la douce quakeresse, avec ses joues couleur de rose, ses habits serrés et sans plis, sa figure indulgente, assise dans son grand fauteuil très endommagé, qui fait entendre à chaque mouvement de Rachel une espèce de cric-crac que les enfans aiment comme une douce musique, car ce vieux fauteuil est comme le trône d’où leur mère, ainsi qu’une reine, a rendu sa justice, distribué à chacune sa part de mots aimans et de tendres réprimandes. La porte s’ouvre, et une autre quakeresse, jeune et jolie, du nom de Ruth Stedman, se présente. — Écoutez cette conversation entre les deux quakeresses, l’une dans toute la fleur de la jeunesse, l’autre au sein de l’âge mûr ; une douce lumière, dans laquelle on ne sait ce qui domine, ou d’un riant et frais rayon du printemps, ou d’un doux et fin rayon d’automne, éclaire chacune de ces paroles et les fait étinceler comme des atomes au soleil.


« Ruth, cette amie est Éliza Barris, et voilà le petit garçon dont je t’ai parlé.

« — Je suis heureuse de te voir, Éliza, dit Ruth en pressant les mains d’Éliza, comme si Éliza eût été une vieille amie qu’elle aurait attendue long-temps, et voici ton cher enfant ? J’ai apporté un gâteau pour lui, dit-elle en tendant la friandise à l’enfant, qui vint regardant à travers les boucles de sa chevelure, et qui l’accepta timidement.

« — Où est ton enfant, Ruth ? dit Rachel.

« — Oh ! il va venir ; mais ta Marie l’a emmené dès mon arrivée et a couru avec lui dans la grange pour le faire voir aux enfans.

« En ce moment, la porte s’ouvrit, et Marie, une fille aux joues rosées et au maintien modeste, avec de grands yeux bruns semblables à ceux de sa mère, entra avec le petit garçon.

« — Ah ! ah ! dit Rachel se levant et prenant dans ses bras le gros et gras compère, comme il profite et comme il a bonne mine !