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été commis quelque crime, que tous les échos l’ont répété, et, comme dans la fable du roi Midas, les roseaux de la rive eux-mêmes jettent en babillant la nouvelle aux vents rapides, qui la portent dans toutes les contrées de la terre. Une susceptibilité singulière, une irritabilité nerveuse et de tous les instans, une vertu équivoque, mélange de remords et de sympathie, excitent, aiguillonnent à chaque instant la conscience des hommes de notre temps, et les mettent en guerre contre le mal involontairement, malgré eux, malgré leurs intérêts, leurs passions, leur lâche amour du repos. La conscience de l’homme n’a plus de tranquillité, et désormais elle n’en aura plus. Cette inquiétude morale, qui est née du christianisme, est plus éveillée que jamais aujourd’hui, bien qu’elle soit plus impure, plus matérielle, plus maladive qu’autrefois. Elle est mêlée à beaucoup de choses détestables : sentimentalité, sensualité vite blessée du spectacle de la douleur, force d’imagination qui affecte les nerfs par la représentation trop sensible des objets physiques, finesse de l’analyse développée à outrance, et qui permet à l’esprit de saisir n’importe quel acte, de le suivre dans tous ses replis ; effroi de la souffrance, frayeur du danger, — tous ces sentimens, tous ces instincts de l’homme de notre siècle entrent dans la composition de cette inquiétude morale. Eh bien ! cependant, malgré ce mélange, conservons bien cette susceptibilité, entretenons bien cette inquiétude, et laissons faire son chemin à cette publicité particulière qui, à toute heure du jour et en tout lieu de la terre, dénonce le mal : c’est là peut-être la dernière vertu qui nous reste, celle qui nous empêchera de déchoir.

Ce sentiment est tout moderne, et cette rapidité avec laquelle la douleur trouve des interprètes est un phénomène tout contemporain, qui date de soixante ans à peine, et qui, dans ces dernières années, a pris des proportions réellement menaçantes. Il ne suffirait point de vouloir se cacher la vérité et de fermer les yeux pour ne pas voir : à moins que l’on consente à se priver de toute relation avec les hommes, il est impossible de ne pas recueillir chaque jour de la bouche d’un ami, du récit d’un roman, de la lecture d’un journal, des impressions d’un voyage ou même d’une simple promenade, une somme de tourmens supérieure à la somme de plaisir que l’on avait cherchée dans ces différentes distractions. La littérature moderne n’est pas matière à amusemens : c’est un véritable cauchemar, une navrante et fatigante fantasmagorie. Entendez-vous ces cris, ces blasphèmes, ces plaintes qui retentissent dans les œuvres modernes, comme les plaintes d’enfans orphelins et de bâtards abandonnés au milieu d’une plaine immense et aride, sous un ciel d’airain, scellé, fermé à jamais, sans un Dieu paternel, juge réparateur et vengeur ? Voyez-vous passer ce long cortège de personnages de tout âge et de tout sexe, pâles, maladifs, en proie