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L’ANTIQUITÉ ET LES PÈRES DE L’ÉGLISE.

éclatantes des siècles passés. » S’il en est ainsi, irez-vous dire aux siècles passés qui racontent les grands poèmes : Loin d’ici la guerre de Troie, où l’on voit la belle Hélène et le beau Pâris ; loin d’ici l’Enéide, où l’on voit Énée et Didon se dirigeant vers la grotte des nymphes ; loin de nous ce qui reste de Troie et de Carthage, de Tivoli et de Tusculuni ? C’est comme si vous disiez : Loin de nous les grandes nations et les grands peuples ! car les grandes nations et les grands peuples se manifestent dans leurs poèmes, dans leurs tragédies, dans leurs philosophies, dans leurs religions, dans leurs histoires, monumens plus durables que l’airain, contre lesquels ne peuvent rien les siècles rongeurs. « Prenez garde à votre zèle, disait saint Jérôme, il n’est pas toujours une preuve. » — « Voulez-vous déchirer justement de mauvaises choses ? disait saint Jean Chrysostôme : eh bien ! commencez par vous déchirer vous et vos œuvres ; c’est là un genre de détractation légitime et louable qui déposera en faveur de votre équité. »

Maintenant, pour en finir, appelons à notre aide une défense illustre entre tous les panégyriques que les pères de l’église aient jamais faits de l’étude et de l’exercice des belles lettres de l’antiquité, et terminons par cet exemple une dissertation qui pourrait s’étendre à l’infini. — Lorsque l’empereur Julien, — Julien l’apostat, c’est son nom, — parvint à l’empire, « ceux qui suivaient une religion corrompue (ainsi parle des chrétiens le rhéteur Libanius) s’attendaient à d’étranges supplices, et cent fois plus cruels que les tourmens imposés aux chrétiens par les précédens empereurs. » Les chrétiens persécutés ne savaient pas encore à quelle étrange persécution ils allaient être exposés par ce renégat et ce sceptique ; Julien savait, lui, l’impuissance des bourreaux, et que le supplice était inutile, s’il est vrai que le supplice soit une preuve d’estime. Il résolut de procéder par l’ironie et le mépris. « Il ne faut pas, disait-il, traîner les Galiléens aux autels de nos dieux, ils sont plus insensés que méchans ; il faut les plaindre et non pas les haïr : prenez-les, s’il se peut, par la douceur ; le temps fera le reste. » Au même instant, il ajoute ceci, en guise de post-scriptum, à sa harangue : « Une chose a dire et que personne ne saurait nier, c’est qu’il serait inutile et malséant d’expliquer aux fils des chrétiens nos anciens philosophes, nos anciens poètes, les dieux de Rome. À quoi bon leur parler de ces grands personnages que condamne la religion chrétienne : Homère, Hésiode, Hérodote, Démosthènes, Thucydide, Socrate et Lysias, adorateurs fervens de ces mêmes dieux que les chrétiens appellent de faux dieux ? » C’est en ces termes que l’empereur lui-même donne les motifs de ce décret fameux, à la date du 17 juin 362, dans lequel il défend aux chrétiens d’étudier les lettres humaines et de fréquenter les écoles où il est parlé des poètes païens, l’empereur se réservant de nommer les professeurs à l’avenir.