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mière in petto. Ces noms-là, je vais vous les dire, je les sais ; ils appartiennent au grec du Bas-Empire, au latin de l’infime latinité. Synésius, évêque de Ptolémaïs, écrivait en effet un dithyrambe en l’honneur des philosophes païens ; Nonus, contemporain de l’évêque Synésius, a laissé un poème, les Dyonisiaques, à la louange de Bacchus. George Pisidès a marché sur les traces de Pindare, qui était, quoi qu’on dise, un poète lyrique, et George Pisidès s’est brûlé les ailes à ce soleil. Nous savons aussi que Psellus écrivait des élégies qui ne valent pas les élégies de Properce, que saint Jean Damascène écrivait un poème épique qui ne vaut pas l’Odyssée. Il y a encore dans cette résurrection future à tirer de leurs cendres Joseph l’hymnographe, Zomare l’annaliste, Théodore Prodome, un disciple de Théophraste, et tant d’autres enfans d’Homère inconnus à leur père : « muses sans grâce et sans beauté, disait un chrétien bel esprit, poèmes barbares et sauvages ; on n’y voit rien que d’affreux, de rustique et de grotesque ; à les entendre, on croit entendre le jargon des sauvages. » Ainsi par le l’abbé Fleury, et le réservé Tillemont va jusqu’à dire du poète-évêque Synésius : « Si celui-là a été fait évêque, c’est une faute que personne ne voudrait excuser. » Ce sont là pourtant les Homères et les Pindares de ce moyen-âge dont on voudrait faire l’âge d’or ! Et nous accepterions de pareils changemens ! et nous donnerions l’Iliade pour les Dyonisiaques ! Muses, pleurezl Grâces, pleurez !

Oublient-ils donc, ces Érostrates chrétiens, dans leur zèle indiscret, oublient-ils que ces grands monumens de l’esprit humain qu’ils signalent au mépris et à la terreur des nations ont été justement protégés, éclairés, défendus par les soins des antiquaires chrétiens, et que ces chefs-d’œuvre ont été arrachés par d’humbles religieux à la nuit profonde, à la nuit sanglante du moyen-âge ? C’est vous que j’atteste, illustres religieux du Mont-Cassin, lorsque vous vous sauviez de la flamme, emportant Homère et Thucydide, comme Énée emportait son vieux père à travers sa ville incendiée. Braves gens, héros et martyrs des chefs-d’œuvre confiés à leur garde, ils ont sauvé les titres de l’humanité tout entière. Que de peines pourtant et que de périls ! Mais quand vint l’heure où le monde, plus calme, eut assez de loisir pour revenir à ces études oubliées, la clé de ces livres fermés se retrouva dans les couvens de l’Italie. « Ce fut, dit encore l’abbé Fleury dans son Discours sur l’histoire ecclésiastique, une grande marque de la Providence, de rendre à l’esprit humain ces merveilleux exemples qui lui manquaient. La poésie était si mal étudiée en ces siècles d’ignorance, que je ne daigne presque pas en faire mention….. On ne voit aucun agrément dans les ouvrages plaisans non plus que dans les ouvrages sérieux de ce temps-là ; pas un de ces écrivains barbares n’avait le sentiment de la belle nature, qui est l’ame de la poésie. En revanche, ils aimaient