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L’ANTIQUITÉ ET LES PÈRES DE L’ÉGLISE.

tout respect, le glorieux sentier qui nous doit ramener, à travers les chefs-d’œuvre de l’église naissante, aux chefs-d’œuvre de l’antiquité païenne, si cruellement traités de nos jours. Quelle plus juste idée en effet ? les pères de l’église appelés en aide aux écrivains de l’antiquité profane, les apologistes de l’Évangile naissant invoqués comme les apologistes des vieux poètes de la Rome païenne ! bonheur ! Lactance ami de Cicéron, saint Hilaire admirant Quintilien, saint Ambroise évoquant les deux Pline ! et, dans ce cercle étroit, irrésistible, tout ce débat peu à peu resserré, jusqu’à ce que rien n’en reste, sinon cette conclusion du père de famille, qui tire également de son trésor inépuisable « ce qu’il y a de plus ancien et ce qu’il y a de plus nouveau. » — Erit quidem similis patri familias qui profert è thesauro suo nova et vêlera. — Si donc nous nous permettons de pénétrer dans cette dispute, où c’est à peine si nous avons le droit d’examen, c’est que notre tâche est tracée à l’avance et de si haut, qu’il n’est pas facile que nous puissions nous égarer. Dans ces batailles commencées par le premier venu, c’est le droit du premier venu d’être à la réplique. Et d’ailleurs par quel privilège étrange les soldats obscurs d’une idée au moins absurde voudraient-ils ne rencontrer jamais, comme obstacles et comme opposans, que des évêques, des archevêques, des cardinaux, des princes de l’église romaine ? À ce compte, il serait trop glorieux de déclamer contre l’ensemble et la réunion des plus grands génies de l’humanité tout entière, et l’on comprendrait parfaitement une obstination payée à si haut prix.

Quand cette étrange querelle a commencé, les esprits calmes et studieux qui restent encore en France dévoués aux belles œuvres de l’esprit humain, les aimant et les cultivant pour elles-mêmes, en tout désintéressement, en tout honneur, ne pouvaient pas s’imaginer que cette dispute fût sérieuse. Une levée de boucliers contre l’antique Parnasse, était-ce possible ? Apollon insulté, à quoi bon ? Les muses traînées aux gémonies, et la douce fontaine au pied de l’Hélicon troublée, ô ciel ! par ce piétinement lamentable, et pourquoi faire ? Où était le mal ? où se cachait le danger ? Quel envahissement soudain des poèmes d’Homère et des vers de Virgile avait donc surpris la France nouvelle ? En vingt-quatre heures, la France était donc tombée amoureuse à ce point du génie antique, qu’elle avait perdu son propre génie ! Elle allait donc renoncer au Dieu de l’Évangile, et reconnaître à leurs autels brisés les vieilles idoles du paganisme antique, dont le nom seul était resté jusqu’à ce jour comme un jouet de la poésie et l’encouragement des jeunes poètes avides d’images, de noms sonores et de souvenirs ! C’en est donc fait : nous allons retomber dans le siècle demi-païen, demi-latin de Léon X ! Nous allons assister à la résurrection de l’ancien monde, et nous enivrer à la coupe antique où s’enivraient les poètes nouveaux Dante et Pétrarque ! « Ah ! disait Pétrarque, il me semble que je n’aurai