Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

ciellement connues ; mais, sans contester l’intérêt que mérite la situation actuelle de nos Antilles et tout en approuvant la juste sollicitude du gouvernement, il est permis d’appréhender que le climat n’oppose de graves obstacles au travail de la race blanche, et il faudra, en tous cas, multiplier les soins, les précautions, les mesures hygiéniques, pour ne pas éprouver un échec dont l’effet moral serait très regrettable. L’Angleterre n’a pas songé un seul instant à envoyer ses émigrans à la Jamaïque ou à la Guyane : elle a importé dans ces possessions des nègres affranchis, des cultivateurs de Madère et même des Chinois ; elle n’a pas osé courir les chances de la colonisation à l’aide de la race européenne. Peut-être serait-il plus prudent d’imiter cette réserve et de garder pour l’Algérie toutes nos ressources.

L’émigration est donc aussi variée dans ses effets que dans ses causes ; elle réussit dans tel pays, elle échoue dans tel autre, selon qu’elle est régie par de bonnes ou de mauvaises lois. En Australie, elle représente l’instrument le plus énergique de la colonisation ; en Algérie, elle est encore presque nulle. Ce contraste, si peu favorable à la France, ne doit point décourager une nation puissante et qui se sent forte ; loin de là, c’est un stimulant pour faire mieux que par le passé. Pourquoi, dans ces vastes champs ouverts à l’activité humaine par la découverte et la conquête de nouveaux territoires, par le perfectionnement de la navigation et des moyens de transport, par les hardiesses de l’industrie et du commerce, pourquoi la France ne prendrait-elle pas sa place ? Y aurait-il par hasard, dans le tempérament de notre génie national, quelque vice caché qui nous interdirait la lutte et nous fermerait absolument la carrière où les Anglais et les Allemands s’élancent avec tant d’ardeur et de succès ? Le paupérisme est moins général en France que dans les comtés de l’Irlande ou dans les pays allemands, les habitans de nos campagnes ne sont point poussés au dehors par l’aiguillon de la faim : nous n’avons donc point à fournir à l’émigration les recrues de la misère, cela est vrai, et nous devons en rendre grâce à la Providence ; mais l’émigration ne se compose pas seulement de bandes affamées : elle entraîne sur le même navire les capitaux et les intelligences dont elle décuple la valeur, tandis que, par une compensation équitable, elle accroît la puissance politique, l’influence morale, les richesses de la patrie d’Europe. Que la France ne dédaigne pas ce nouveau genre de conquête, qu’elle engage ses enfans dans la grande armée qui porte à tous les points de l’horizon le drapeau de la civilisation moderne, et qui va semer sous d’autres cieux les germes d’où sortiront les nations de l’avenir !


C. Lavollée.