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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

directe des millions de sujets et d’hectares ? Loin de là : elle prévoit l’événement, elle le prépare, elle le souhaite peut-être. Ce ne sera point alors une séparation haineuse et sanglante, semblable à celle qui a donné naissance aux États-Unis d’Amérique ; on n’assistera pas au triomphe d’une colonie rebelle, à l’humiliation d’une métropole : la scission cette fois doit s’opérer sans secousse ; l’Angleterre signera avec orgueil l’acte d’émancipation de ce jeune peuple, qui demeurera le vivant témoin de son génie. Merveilleuse transformation des mœurs politiques ! Que l’on se rappelle les relations qui existaient, au dernier siècle, entre les puissances de l’Europe et leurs possessions d’outre-mer : que sont devenus les principes d’oppression égoïste et de défiance jalouse, les entraves et les restrictions de toute sorte qui formaient la base de l’ancien système colonial ? La Grande-Bretagne permet aujourd’hui que ses hommes d’état lui prédisent le moment où ses plus riches colonies se détacheront d’elle, comme des fruits mûrs que la liberté doit cueillir. En 1850, elle applaudissait le ministre whig lord John Russell annonçant l’émancipation future de l’Australie ; récemment encore, elle applaudissait le ministre tory lord Derby exprimant le désir que le vaste empire de l’Inde soit digne un jour de recevoir des institutions libres. Une colonie n’est plus considérée comme une ferme que l’on exploite avidement, avec l’unique passion du gain : c’est une nation que l’on élève pour l’introduire dans la grande famille, c’est l’Australie peuplée par l’émigration européenne et marchant d’un pas rapide vers l’indépendance !


V. — DU SYSTÈME DE L’ÉMIGRATION EN FRANCE.

Les résultats obtenus par la Grande-Bretagne permettent de déterminer d’une manière à peu près certaine les conditions matérielles, morales et économiques qui peuvent assurer le succès de l’émigration, appliquée par une puissance coloniale au développement de ses possessions lointaines. L’émigration se dirigeant d’ordinaire vers les contrées agricoles, il convient de choisir avec un soin extrême les élémens qui la composent, de telle sorte que la classe des laboureurs y domine et qu’il y ait proportion exacte entre les sexes. La loi doit régler les conditions du transport. Dans le pays où l’émigrant s’établit, il est indispensable que les plus grandes facilités encouragent l’acquisition du sol, et que la propriété soit, dès l’origine, solidement assise. Quant aux rapports commerciaux et politiques de la métropole avec ses colonies, le libéralisme est préférable aux restrictions. Tels sont, en résumé, les principes que l’Angleterre a mis en pratique et que l’expérience semble avoir définitivement consacrés. Plus que tout autre peuple, la France est intéressée à les étudier dans les détails les plus variés de leur application. Les crises sociales qui ont pesé sur notre pays ne doivent-elles pas appeler l’attention du gouvernement sur l’emploi des moyens qui ont réussi à conjurer, en Angleterre, les mêmes périls ? Ne serait-il pas désirable d’ouvrir à l’activité fébrile qui depuis vingt ans s’est emparée de nos populations des voies nouvelles et un horizon plus large ? La France enfin ne possède-t-elle pas des colonies où l’introduction de la race européenne développerait rapidement les