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est offert, et le champ est immense. Dans la Nouvelle-Galles du Sud, la production de la laine réclame sans cesse des bras ; dans l’Australie du Sud, c’est le blé qui domine. Le gouvernement a compris qu’il importait de conserver à l’Australie le caractère purement agricole, en y envoyant surtout des familles de laboureurs, et la colonie elle-même ne saurait aspirer, par d’autres voies, à de plus heureuses destinées. C’est par l’agriculture que l’établissement pénal, fondé à la fin du XVIIIe siècle, est devenu une contrée florissante : la terre purifie en quelque sorte et conserve tout ce qui a foi en elle ; après avoir réhabilité, dans le passé, le travail flétri des convicts, elle récompensera largement, dans l’avenir, le travail honnête et libre des émigrans du XIXe siècle.

La découverte des mines d’or a jeté, il est vrai, dans le mouvement de l’émigration australienne une grave perturbation. Il s’embarque chaque mois, en Europe, près de 20,000 passagers à destination des régions aurifères. Les navires ne suffisent plus aux transports. C’est un fait immense dans l’histoire de la colonisation. Le gouvernement anglais redouble d’efforts pour maintenir autant que possible le peuplement au niveau des besoins du sol. Heureusement l’agriculture australienne a fait trop de progrès pour que les colons la laissent dépérir ; elle continuera de recruter des bras parmi les émigrans que la Grande-Bretagne lui expédie sans relâche ; elle échappera, il faut l’espérer, aux funestes conséquences de la fièvre de l’or. C’est une crise à traverser, peut-être même cette crise passagère secondera-t-elle le développement ultérieur du travail agricole ; les champs de l’Australie garderont les immigrans que les mines auront attirés en plus grand nombre.

En présence de ces faits, on s’explique le peuplement rapide des terres australes, malgré l’énorme distance qui les sépare de l’Europe ; mais il serait injuste de ne point mentionner ici, au nombre des causes qui ont le plus contribué au progrès de la colonisation, la politique libérale de la métropole à l’égard de ses sujets d’outre-mer. L’Anglais qui émigré retrouve au-delà des océans les institutions politiques et administratives de la mère-patrie. À cinq mille lieues de Westminster, il sait qu’il n’a rien perdu de ses droits, qu’il est aussi libre, aussi sacré dans son indépendance personnelle que s’il était demeuré dans son comté ; colon, il ne cesse pas d’être Anglais. Il y a là pour lui non-seulement une vive satisfaction d’amour-propre, mais encore une sérieuse compensation de l’exil. L’émigration n’est plus alors qu’un changement de résidence, qui n’impose au sentiment national aucun sacrifice et qui s’accomplit comme un acte ordinaire de la vie : elle ne mesure plus les distances, elle ne recule point devant les périls d’un long voyage, elle envisage de sang-froid tous les obstacles du moment qu’elle se voit défendue contre l’arbitraire et protégée par la loi commune.

Les institutions libérales dont jouissent les colonies australiennes aboutiront un jour à l’indépendance de ces contrées. Lorsque l’émigration aura jeté sur les côtes de la Nouvelle-Hollande une population assez forte pour se défendre elle-même et pour se constituer en société, le cri de liberté sortira naturellement des législatures et des meetings ; les liens politiques entre la métropole et la colonie seront brisés, et le monde comptera une nation de plus, les États-Unis d’Australie. L’Angleterre paraît-elle effrayée de ce résultat ? cherche-t-elle à retarder l’heure fatale qui doit enlever à son autorité