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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

commerce d’importation et d’exportation dépassait 75 millions, et le revenu territorial provenant, soit des ventes soit des baux ou permis de pâture, atteignait 3,150,000 francs. Dans l’Australie du Sud, dont la colonisation ne remonte pas à plus de quinze années, les progrès furent encore plus rapides. Le bas prix relatif des terrains et les garanties qui entourent les concessions faites au nom de la couronne, par voie d’adjudication publique, attirèrent à la fois les capitaux et les bras. Le prix des terres étant versé en grande partie dans les caisses destinées à subventionner l’émigration, les commissaires chargés d’administrer en Angleterre ce fonds spécial purent toujours maintenir une exacte proportion entre les sexes et choisir, parmi les familles qui sollicitaient la faveur du passage gratuit, telle ou telle catégorie qui convenait le mieux aux besoins du moment. Ils expédiaient tantôt des artisans, tantôt des laboureurs, suivant que les correspondances de la colonie leur annonçaient que le travail réclamait des bras dans les villes ou dans les campagnes, et ils prévenaient ainsi les découragemens, les mécomptes qui, en d’autres pays, ont si gravement compromis le succès de l’émigration. On ne saurait en effet trop le répéter : l’homme, dans ces sortes d’entreprises, n’est qu’une marchandise dont la valeur, soumise à toutes les lois de la concurrence, s’élève ou s’abaisse suivant les alternatives de l’offre et de la demande, et l’on voit fréquemment, au sein des sociétés qui se fondent, les services de l’intelligence moins recherchés, moins rétribués que ceux d’un corps robuste. Le système adopté par la Grande-Bretagne oppose une digue efficace à l’encombrement du marché.

Cet encombrement présenterait d’ailleurs, en Australie, peu de dangers, car la culture et l’élève des bestiaux ouvrent en tout temps un débouché facile et assuré au travail de l’homme. L’artisan débarqué à Sydney, à Port-Philip ou à Adélaïde quitte volontiers la ville et abandonne même sa profession pour se livrer, dans l’intérieur, aux exploitations agricoles. Comment ne se sentirait-il pas attiré vers ces belles régions où la riche verdure des plaines lui rappelle les perspectives de la patrie d’Europe, éclairées par les purs rayons du soleil australien ? Ne sont-ce point là les mêmes moissons, les mêmes pâturages, les mêmes troupeaux ? Ces villages, destinés à devenir un jour de grandes et populeuses cités, ne s’appellent-ils pas Windsor, Liverpool, etc, noms accoutumés qui renferment de pieux souvenirs ? Enfin, et pour revenir à des considérations d’un ordre plus pratique, la terre d’Australie n’est jamais ingrate pour le colon : l’émigrant peut s’initier vite et sans efforts aux habitudes de la vie pastorale, qui offre tant de ressources dans un pays où les bestiaux se multiplient avec une rapidité prodigieuse[1]. Celui-là même qui ne possède point assez de capitaux pour acheter un lot de terre se contente de louer, moyennant une rétribution très faible, le droit de pâture sur les domaines de la couronne, ou bien encore il entre au service des grandes fermes qui reculent chaque jour les limites de la culture. Partout le travail

  1. D’après un rapport très intéressant adressé au gouvernement belge par M. Edouard Wyvekens, consul de Belgique à Sydney, l’Australie compte aujourd’hui 14 millions de moutons, 2,500,000 bœufs, 200,000 chevaux. L’élève des bestiaux emploie déjà 320 millions d’acres. En 1826, l’exportation des laines d’Australie ne dépassait pas 600,000 livres anglaises ; en 1850, elle a atteint près de 30 millions de livres.