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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

émigration, fatale à la colonie qui avait surtout besoin de bras, inquiéta le gouvernement, et en 1848 le gouverneur, sir Harry Smith, se rendit lui-même à Natal. Il faut lire dans les dépêches qu’il adressa à lord Grey la description de ces fuites désespérées qui chaque jour enlevaient au sol des familles entières. C’était un véritable désastre que sir Harry Smith compare à la déroute d’une armée. Quels étaient cependant les griefs des boers ? Le souvenir du drapeau qui, pendant deux siècles, avait flotté sur les forts du Cap, la haine du joug britannique, le patriotisme, inspiraient-ils cette sorte d’odyssée africaine ? Un motif plus vulgaire, mais plus rationnel, entraînait les boers loin de Natal. Le gouvernement leur avait contesté la propriété du sol qu’ils cultivaient et qu’ils croyaient avoir légitimement acquis en vertu du droit de première occupation ; on invoquait contre eux les lois qui attribuaient à la couronne la faculté de disposer de toutes les terres coloniales et de les concéder à son gré. Dès-lors, les fermiers hollandais ne virent plus d’autre ressource que l’exil : au-delà des frontières anglaises, ils étaient du moins sûrs de trouver des terrains libres. Il fallut que sir Harry Smith prit d’urgence des mesures spéciales pour les retenir sur le sol colonial.

Il a paru utile de rappeler avec quelques détails l’historique de ces faits. Les métropoles doivent y puiser une sévère leçon. Le premier devoir dans les colonies naissantes, c’est d’organiser sur des bases fixes et invariables la propriété territoriale et de légitimer aussi promptement que possible la simple possession, lors même que celle-ci ne procéderait pas d’un droit strict. L’établissement de Natal a éprouvé dès son origine un grave échec dont la responsabilité retombe sur les exigences inopportunes du fisc. Il eût été préférable de ne pas accorder avec tant d’empressement une charte, une assemblée législative, l’appareil assez inutile d’un gouvernement quasi-représentatif, et de laisser aux boers les champs qu’ils avaient si péniblement défrichés.

Après avoir reconnu leur première faute et l’avoir réparée autant que les circonstances le permettaient, les Anglais comprirent le parti qu’ils pouvaient tirer de la nouvelle colonie. Ils s’appliquèrent d’abord à rechercher les moyens d’y multiplier la population. Les tribus indigènes des Zulus acceptèrent sans répugnance la loi britannique ; d’autres peuplades descendirent également de leurs montagnes pour se ranger d’elles-mêmes sous le patronage d’une administration qui leur offrait toute sécurité contre la tyrannie et les exactions de leurs propres chefs. C’était là un précieux secours pour la culture ; on était assuré de ne pas manquer de bras. Le gouvernement prescrivit d’ailleurs une mesure fort ingénieuse pour soumettre à la loi du travail la paresse naturelle des indigènes établis à Natal : il imposa une taxe de capitation sur les Africains, et il exigea que la taxe fût payée en argent. Au premier abord, on est tenté de blâmer ce procédé fiscal, que semblent réprouver les principes de l’économie politique ; mais, en fait, l’impôt plaçait les indigènes dans l’obligation de se procurer du numéraire, soit en cultivant le sol pour leur compte, soit en s’employant à gages dans les fermes des Européens, et à ce point de vue il a produit les résultats les plus efficaces. Les boers, ramenés à Natal par les sages encouragemens de sir Harry Smith, formaient le second élément de la population agricole, et ils étaient particulièrement aptes à l’élève des bestiaux. Le pays se trouvait donc dans les meilleures conditions