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hardis voyageurs, parmi lesquels il est juste de citer particulièrement le lieutenant Farewell en 1824 et le capitaine Gardener en 1835. Ces officiers, que les ennuis de la vie de garnison avaient jetés dans la carrière des aventures, traversèrent le pays dans toute son étendue et transmirent les rapports les plus favorables. Ils conclurent même avec les Zulus, puissante tribu africaine qui habitait les districts les plus fertiles, divers contrats par lesquels ils achetèrent la concession de plusieurs millions d’acres. De leur côté, les négocians du Cap insistaient vivement pour que la métropole accordât les fonds nécessaires à la création d’un port sur la côte orientale et à la colonisation des terres ainsi concédées. Soit apathie, soit crainte de s’engager dans de trop fortes dépenses, le gouvernement demeura sourd à ces demandes réitérées. Chose singulière, il était réservé aux Hollandais d’ouvrir la route de l’émigration vers Natal et de conquérir à la Grande-Bretagne, au prix de mille fatigues et des souffrances d’un exil volontaire, un pays neuf et plein d’avenir.

Les fermiers hollandais (les boers) établis dans l’intérieur de la colonie du Cap avaient conservé l’empreinte profonde de leur nationalité, et ils supportaient impatiemment le joug de la conquête anglaise. Ils entendirent parler de Natal, envoyèrent quelques délégués pour examiner les ressources de cette région qui échappait par son éloignement à l’action directe de leurs vainqueurs, et en 1837 ils partirent. Abandonnant sans regret les villages fondés par leurs pères et les champs déjà ensemencés, ils chargèrent leur mobilier et leurs outils de labour sur de lourdes charrettes auxquelles ils attelèrent leurs bestiaux ; ils traversèrent en caravanes une vaste étendue de déserts, franchirent les passes des monts Drakenberg, et purent apercevoir les rians pâturages de la terre promise. Il y a dans ce déplacement de toute une race de vaincus, dans ce pèlerinage lent et douloureux d’une tribu européenne à travers les solitudes de l’Afrique, un ressouvenir touchant qui nous reporte aux migrations des premiers âges. À peine arrivés sur le territoire de Natal, les boers durent se défendre contre les attaques des Zulus, et ils ne triomphèrent qu’après de longues et sanglantes luttes. Enfin, vers 1842, ils demeurèrent paisibles possesseurs du sol qu’ils avaient conquis et se livrèrent activement aux travaux agricoles, pendant qu’un certain nombre de colons anglais fondaient, sur les bords de l’Océan Indien, le port d’Urban.

Le gouvernement du Cap ne voyait pas sans inquiétude cette colonie d’exilés qui pouvait un jour s’emparer définitivement de la contrée et se proclamer indépendante. Il résolut de la soumettre complètement à sa domination, et il envoya des troupes à Natal pour y maintenir l’autorité de la couronne britannique. Les boers résistèrent : vainqueurs dans plusieurs rencontres partielles, ils espérèrent un moment que la liberté leur resterait ; mais que pouvaient-ils contre les ressources et les forces de l’Angleterre ? En 1844, sur les instances des sujets anglais qui s’étaient établis à Urban et à Maritzbourg, le district de Natal fut érigé en colonie distincte de celle du Cap, et en 1847 des lettres patentes lui accordèrent une législature, c’est-à-dire un gouvernement représentatif. Ces mesures libérales consolidèrent dans le pays l’influence de la métropole, le règne des lois, et attirèrent une population nombreuse de Zulus ; elles n’apaisèrent point toutefois le ressentiment des boers, qui prirent de nouveau le chemin de l’exil et se dirigèrent vers le nord-ouest. Cette