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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

de beaucoup la plus forte ; elle s’est accrue au point de dépasser 10 millions de francs. L’avenir se chargera de démontrer que les profits de l’émigration compensent et au-delà tant de sacrifices.

En pareille matière, le nerf de l’entreprise, c’est l’argent ; mais il n’y a pas de nation au monde qui soit assez riche pour payer directement, par un article de budget, les dépenses de l’émigration. Si, pour imprimer immédiatement à l’œuvre une impulsion vigoureuse, il est nécessaire que le gouvernement débourse une assez forte somme prélevée sur les revenus ordinaires, ce sacrifice ne saurait se prolonger au-delà de quelques années ; il convient de créer à l’émigration des ressources particulières et permanentes. La législation anglaise offre la solution du problème : toutes les terres coloniales appartenant de droit à la couronne, il est facile d’organiser un régime de ventes ou de concessions dont le prix puisse être affecté au transport et à l’établissement d’une population tirée du dehors. Ce régime, d’une extrême simplicité, est en vigueur dans la plupart des possessions britanniques. Les ventes ont lieu par voie d’adjudication sur une mise à prix qui varie selon les colonies (1 liv. sterl. par acre en Australie, 2 shillings au Cap, 4 shillings à Natal). Lorsqu’il ne se présente pas d’acquéreurs aux enchères publiques, les terrains sont concédés à l’amiable à mesure que les colons se présentent et aux conditions de la mise à prix.

Un tel système exige que le gouvernement facilite autant que possible les achats de terres, car les ressources destinées au fonds d’émigration sont proportionnées à l’importance des ventes. On a donc recherché les moyens de rendre les concessions accessibles, non-seulement aux habitans qui résident déjà dans la colonie, mais encore aux spéculateurs de la Grande-Bretagne. Ceux-ci peuvent déposer à la banque d’Angleterre des sommes de 100 liv. st. au moins, et ils reçoivent en échange un bon qui leur permet d’obtenir dans les colonies la propriété d’une étendue de terre domaniale équivalente au montant du dépôt. En outre, et c’est là le point essentiel, ils ont le droit de désigner à la commission officielle un certain nombre d’émigrans, qui sont transportés gratuitement. Les sommes versées à la banque sont ainsi immédiatement dépensées au profit de l’émigration, et, comme elles représentent la valeur des terres vendues au Cap ou en Australie, il en résulte que ce sont les colonies elles-mêmes qui pourvoient en définitive aux frais d’établissement des cultivateurs venus d’Angleterre, et qu’elles paient par avance le service qui leur est rendu. La commission se charge du transport des passagers : elle frète des navires dont les départs sont échelonnés de telle sorte que les émigrans, à leur arrivée dans la colonie, ne trouvent point le marché encombré ; elle a soin d’affecter un chirurgien à chaque navire ; elle s’assure de la quantité et de la bonne qualité des approvisionnemens placés à bord ; en un mot, elle veille strictement à l’exécution des mesures prescrites par la législation spéciale qui régit en Angleterre le transport des passagers. On a calculé que, pour l’année 1850, les frais de la traversée n’ont pas dépassé 353 francs par émigrant pour la Nouvelle-Galles, 340 francs pour l’Australie du Sud, et 270 francs pour le cap de Bonne-Espérance. Il serait difficile d’obtenir des résultats plus économiques pour des traversées aussi longues.

Ce système, dont il est superflu de faire ressortir la simplicité pratique,