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empereurs d’Allemagne, qu’on trouve dans les historiens modernes les affirmations les plus opposées. Il semble que le bruit de tous ces combats arrive jusqu’à nous à travers les siècles; l’érudition, ainsi que la vieille Italie, a ses guelfes et ses gibelins, et, comme cette curieuse époque a été surtout étudiée par des historiens allemands et italiens, c’est-à-dire par des parties intéressées, il en résulte que la vérité, pour nous autres lecteurs français, est encore plus difficile à démêler. C’était là une lacune regrettable que le livre de M. de Cherrier, l’Histoire de la lutte des Papes et des Empereurs de la maison de Souabe, vient de combler heureusement[1]. Ce livre est procédé d’une introduction générale dans laquelle l’auteur trace, en se plaçant à un point de vue très élevé, un tableau rapide des vicissitudes de l’Italie depuis la chute de l’empire romain jusqu’à l’avènement de l’empereur Frédéric Barberousse en 1152.

Envahie tour à tour par les Barbares de toutes les races, Goths, Ostrogoths, Lombards, la péninsule italique, durant cette longue période, ne s’appartient jamais à elle-même. Un seul pouvoir, la papauté, domine au milieu de ce chaos; mais elle ne peut, avec ses propres ressources, constituer l’unité. Il faut donc qu’elle cherche des appuis au dehors et qu’elle brise elle-même, par une continuelle intervention des peuples chrétiens, cette nationalité qu’elle voudrait fonder. Ainsi elle appelle contre les Lombards Charlemagne, — puis contre les descendans de Charlemagne les rois de Germanie ; mais ces prétendus libérateurs ne sont en réalité que des conquérans qui, après s’être fait donner par les papes la couronne impériale, réunissent nominalement à leurs états Rome et la péninsule, de telle sorte que l’Italie n’est plus réellement qu’une annexe de l’empire. En présence de cette situation, les souvenirs de la vieille gloire et de l’indépendance se réveillent. Deux grands partis s’établissent : l’un composé de la haute noblesse allemande, qui se range du côté de l’empereur, — l’autre formé par les grandes communes italiennes, qui cherchent auprès du chef de l’église l’immense appui de l’autorité morale; mais ces communes elles-mêmes sont sans cesse en rivalité. Chaque ville trouve une ennemie implacable dans la ville voisine. Pise est sans cesse en guerre avec Milan, Crème avec Crémone, Tusculum avec Rome. Il résulte de là que les cités italiennes, au lieu de suivre avec persistance la formation de l’unité, la brisent sans cesse par leurs discordes intestines, comme la papauté la brise elle-même par ses alliances. Selon les intérêts ou les passions du moment, elles s’unissent tantôt avec le pape pour combattre l’Allemagne, tantôt avec l’Allemagne pour combattre le pape, et de la sorte, pendant plusieurs siècles, la péninsule n’est qu’un vaste champ de bataille inondé de sang par la guerre civile et la guerre étrangère.

La partie narrative du livre de M. de Cherrier se partage en trois périodes distinctes : la première s’étend depuis l’avènement de Frédéric Barberousse jusqu’au mariage de son fils et à l’occupation de la Sicile par la dynastie allemande; la seconde période comprend les années qui s’écoulent entre la mort de Henri VI et celle de son fils Frédéric II, en 1250. C’est entre ces deux dates extrêmes que les papes, qui jusqu’alors n’avaient joué qu’un rôle secondaire, se montrant au premier plan, et qu’ils engagent contre la maison

  1. Paris, Courcier; 1851, 4 vol. in-8o.