Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patrons, saint Honoré, saint Fiacre, saint Crépin, etc. Pour les enseignes chevaleresques, les plus communes étaient celles qui représentaient les quatre fils Aymon, tels qu’on les voit encore aujourd’hui dans les vignettes de la Bibliothèque Bleue, chevauchant, la lance au poing, sur un seul et même coursier. L’écu de France existait aussi dans un grand nombre de villes, et ce dernier emblème offre cela de particulier, qu’on le retrouve, au temps de Cicéron, sous le nom du bouclier gaulois, scutum gallicum, servant d’enseigne aux auberges de l’antique Italie en souvenir des guerres soutenues par les Romains contre les populations transalpines.

M. de La Quérière, en mentionnant l’enseigne de la truie qui file, qui existait à Paris et dans un grand nombre de villes de France, dit que l’origine de cette enseigne et de quelques autres du même genre, telles que l’ame qui vielle, le chat qui pelotte, le chien qui rit, se rattache probablement à une modo qui se répandit au XVe siècle, et qui consistait à placer dans des cages au-dessus de la porte des boutiques, pour attirer l’attention des passans, des animaux dressés à exécuter des tours d’adresse. Cette explication, en ce qui touche la truie qui file, n’est point exacte ; cette enseigne, en effet, n’est que la vignette d’une légende célèbre qui de proche en proche nous conduit, en passant par la reine Pédauque, droit à la métamorphose de Daphné en laurier. Dans la tradition païenne, Daphné, poursuivie par Apollon, prie Jupiter de la changer en arbre. Dans la tradition chrétienne, la reine Pédauque, menacée dans son honneur, prie Dieu de lui donner une patte d’oie. Enfin, dans l’enseigne dont nous venons de parler, c’est une belle jeune fille qui, pour se soustraire aux violences de son seigneur, prie la Vierge de la déformer en la changeant en truie, et qui, après la métamorphose, garde encore son fuseau comme un souvenir de son premier état. Les fabliaux, les bestiaires, et plus tard les contes de fées fournirent aussi un nombreux contingent; les enseignes du chat botté, de Gargantua, du petit chaperon rouge, constatèrent le succès de Rabelais et de Perrault à une époque où le souvenir des croisades était encore populaire par les enseignes de la ville de Jérusalem, de la croix rouge et des trois Maures, qui figuraient plus particulièrement sur les auberges. Du reste, les traditions historiques sont en général assez rares, et, parmi les rois de l’ancienne monarchie, nous n’en connaissons que deux, saint Louis et Henri IV, qui soient arrivés par la popularité de la gloire à la popularité de l’enseigne. À côté des emblèmes mystiques, les emblèmes facétieux tiennent incontestablement la plus grande place. Tantôt ce sont des jeux de mots sur les noms propres. C’est ainsi que Cottier, le médecin de Louis XI, fit sculpter sur sa demeure un arbuste avec cette légende : À l’abricottier; tantôt ce sont de véritables rébus, comme dans cette maison citée par Sauval, et connue sous le nom de la vieille science (la vieille scie anse), parce que l’on voyait sur la façade une vieille sciant l’anse d’un vase. Quelquefois aussi c’étaient de vives épigrammes : à Troyes, sur la maison dite le trio de malice, on avait représenté un chat, un singe, une femme, et, dans ces hiéroglyphes rabelaisiens, la bonne femme était figurée par une femme sans tête. Le moyen-âge, on le voit, restait jusque dans ses enseignes fidèle à l’esprit des trouvères, et la veine railleuse et narquoise jaillissait toujours par quelque source imprévue.