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temps-ci, qui consiste à dépenser plus qu’on ne peut, à s’engager au-delà de ses ressources, sauf, quand on est à bout de moyens, à réclamer du gouvernement des institutions de crédit. Voilà la véritable et sérieuse plaie. C’est l’imprévoyance, la disproportion des besoins avec les ressources, l’ardeur du luxe, le goût du faste et des jouissances, la fièvre des spéculations aventureuses, seule manière de pourvoir à tout et de suppléer à tout. C’est ainsi que surviennent les catastrophes individuelles et parfois aussi les catastrophes publiques. Voilà pourquoi le gouvernement a eu raison tout récemment d’opposer une digue à cette ardeur effrénée de spéculation qui se porte aujourd’hui sur les chemins de fer. D’après la note qui a été publiée, les demandes en concession de nouvelles lignes ne s’élevaient à rien moins qu’au chiffre de 7,000 kilomètres, devant imposer à l’état et aux compagnies une dépense de plus de 2 milliards. Qu’on joigne à ceci les lignes déjà en construction, toutes les entreprises d’un autre genre qui se forment, toutes les opérations industrielles qui s’inaugurent ou se poursuivent : n’y aurait-il point là, à moins d’une extrême prudence, les élémens d’une crise redoutable ? Une telle crise peut être encore évitée, nous l’espérons ; mais qu’on imagine ce qui pourrait résulter du développement continu de cette tendance, lorsque déjà la situation industrielle et financière se ressent des entraînemens des derniers mois, et fléchit parfois sous le poids d’engagemens considérables ! Le gouvernement y songe, nous en sommes convaincus ; la note qu’il publiait dernièrement en est la preuve. Cela est d’autant plus utile, que les finances sont toujours un des points sur lesquels le pays a le plus l’œil fixé, comme sur le thermomètre de sa situation. La condition la plus sûre et la plus efficace d’un mouvement normal et régulier, c’est l’ordre et la prévoyance Là est la garantie de l’achèvement des œuvres commencées, du succès des entreprises qui se fondent et de la possibilité de compléter peu à peu les travaux du passé par les travaux de l’avenir. Tout le reste n’est que fièvre d’un moment et spéculation hasardeuse.

Toutes ces oscillations du monde industriel et financier sont aujourd’hui ce qui attire le plus l’attention, nous ne le nions pas ; elles occupent toutes les têtes, elles allument toutes les imaginations qui se nourrissent de la poésie de la hausse et de la baisse. C’est un véritable drame, où l’on se passionne pour le 3 pour 100, pour le crédit mobilier et le crédit foncier, pour les docks ou le chemin de ceinture. Ce sont assurément des questions d’un grave intérêt. Il ne faut point oublier cependant qu’elles ne représentent qu’un des côtés de la vie d’un pays ; elles n’en constitueraient même que le côté inférieur dans un temps où il y aurait un plus juste équilibre entre les forces diverses de la société, et où la vie morale et intellectuelle aurait son cours régulier et puissant. Par malheur, à ce point de vue intellectuel, quel livre pourrait-on trouver qui pût balancer l’intérêt de quelqu’une de ces œuvres matérielles ? La littérature se met de pair avec l’industrie ; elle lutte avec elle de moyens et de ressources, et alors elle est naturellement vaincue sur un terrain qui n’est pas le sien. Ou bien parfois elle ressemble à un monologue fiévreux d’imaginations hallucinées, et alors elle est encore vaincue, parce qu’elle est en dehors de toute réalité, parce qu’elle parle une langue d’initiés que ne sont pas toujours sûrs de comprendre ceux-là mêmes qui en usent si savam-