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côté du pôle, donc c’est au pôle que vous avez besoin d’arriver. — Deux choses renferment un élément commun, donc elles sont identiques. En Russie comme aux États-Unis, il existe un principe d’autorité ; donc les deux sociétés ne sont qu’une même forme de gouvernement. Il y a cela, donc il n’y a que cela.

De la théorie du progrès au système même de M. Proudhon, de l’explication qu’il donne du passé aux plans qu’il propose pour l’avenir, la transition est facile et naturelle. Dans son dernier ouvrage, il le disait encore au prince-président : « Ce qui doit être le point de départ et le but, c’est la révolution démocratique et sociale, tous les deux, entendez-vous? Louis Bonaparte, continuait-il, a défini lui-même sa véritable mission : la fin des partis; définition qui se traduit en cette autre : la fin de la politique machiavélique ou personnelle, c’est-à-dire la fin de l’autorité elle-même. » D’un autre côté, qui dit fin des partis dit aussi fin du capitalisme, car, « aussi long-temps que la société sera livrée à une économie politique de hasard, il est inévitable qu’il y ait des exploiteurs et des exploités, un parasitisme et un paupérisme, et aussi long-temps que pour soutenir ce parasitisme et pour en pallier les ravages, la société se donnera un pouvoir concentrique et fort, il y aura des partis qui se disputeront ce pouvoir. » Donc ce qu’il nous faut, c’est la révolution de toutes pièces, telle que M. Proudhon l’a décrite dans son Idée de la Révolution au XIXe siècle!

Pour faire comprendre en quoi consiste le système du réformateur, nous rappellerons d’abord ce qu’on oublie souvent : c’est qu’il ne nie pas, à proprement parler, la propriété. Il veut bien que l’on puisse posséder un domaine ou une valeur quelconque; seulement il veut enlever à l’argent et à la terre le droit de se prêter à intérêt. Il demande que tout emprunteur, en payant tant par an au prêteur, amortisse d’autant sa dette, et que tout fermier d’un domaine ou tout locataire d’une maison se substituent peu à peu au propriétaire par le seul acquittement de leurs redevances. En un mot, il remplace les intérêts par des annuités. Ce qu’il prétend supprimer, c’est le capital en tant qu’organe du crédit. Dans son système, il n’y a plus d’intermédiaire entre la consommation et la production; il n’y a plus d’or dont le travailleur ait besoin pour produire, et qui puisse ainsi l’arrêter en lui refusant son appui. — La société n’a pas besoin de ce rouage; il lui suffit d’appliquer en grand ce qu’on voit se produire dans une maison où plusieurs amis sont réunis pour jouer. Le banquier donne à chacun des jetons contre espèces ou contre promesse de payer; puis les joueurs s’entendent pour accepter les jetons l’un de l’autre, et à la fin de la partie le banquier règle les comptes. Que les consommateurs et les producteurs se fassent ainsi crédit mutuellement sur toute l’échelle des relations commerciales; que tout homme qui a livré des marchandises, ou qui a recueilli des commandes en s’engageant à les satisfaire, obtienne, contre sa