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Il s’agit bien, en vérité, de savoir si tel axiome, quand on a commencé par l’affirmer sans mesure, ne permet plus d’affirmer tel autre axiome. Il s’agit bien de disserter sur les affirmations qui peuvent, oui ou non, se combiner au fond de l’esprit d’un penseur. Dans notre monde réel, sur notre planète toute peuplée de corps complexes, il est entièrement faux que l’autorité soit inconciliable avec la liberté, ou que le droit de louage ne puisse pas se combiner avec le droit d’échange. Au contraire, il y a toujours eu et il n’y a jamais eu que des sociétés constituées par un compromis entre ces deux élémens, absolument comme il existe des sels qui sont le produit d’un acide et d’un alcali. Nous dire que la liberté exclut l’autorité, c’est simplement nous dire qu’on est soi-même incapable de vouloir un principe sans le vouloir immodérément, à l’état de superlatif absolu ; c’est avouer et démontrer qu’on est une intelligence qui ne peut renfermer à la fois qu’une notion, parce que chaque notion qui s’y trouve en action en chasse toutes les autres, — une intelligence enfin qui ressemble à ce que serait la terre, si, avec ses corps simples, elle ne pouvait produire aucun composé.

Toute cette dialectique du réformateur peut se résumer en quelques mots. Au lieu d’examiner d’abord quelles étaient les données du problème, au lieu de chercher à découvrir les nécessités humaines que les gouvernemens avaient été jusqu’à ce jour un moyen de satisfaire, M. Proudhon s’est borné à fermer les yeux et à tirer les conséquences d’une hypothèse gratuite. Il est parti de l’idée que, quand on admettait un principe, on ne pouvait admettre que ce principe. En conséquence, il nous a sommés ou d’accepter la monarchie despotique, qui est exclusivement l’application du principe d’autorité, ou de nous mettre au régime de l’anarchie absolue ; et, comme depuis 89, on avait déjà reconnu le principe de liberté, il a conclu que la seule chose à faire était d’inventer une nouvelle société dont toutes les fonctions seraient uniquement l’opération d’un unique moteur : la liberté. — Tout cela, nous l’avons dit, revient à déclarer que, dans ce monde, il ne peut pas y avoir de composés, parce que l’écrivain ne peut pas concevoir d’idées complexes. Telle est du reste la base de toute cette funeste logique, qui, depuis si long-temps, raisonne en France au profit de toutes les conclusions possibles, en argumentant d’après les seuls principes. Les procédés qu’elle se borne à mettre en pratique sont faciles à suivre chez M. Proudhon. Ils se réduisent à trois. — Vous admettez chez l’homme un principe d’activité, un besoin de mouvement ; donc vous ne pouvez pas reconnaître en lui le besoin de sommeil, parce que l’idée du sommeil exclut l’idée d’activité. — Tels faits dénotent une certaine tendance : la création du crédit foncier, par exemple, indique que la France tend à abaisser l’intérêt des capitaux ; donc ce qu’il faut à la France, c’est la suppression de tout intérêt. En allant à Rouen, vous vous dirigez du