Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’indique qu’il ait beaucoup regardé si elles ne répondaient pas à quelque besoin en dehors d’elles-mêmes, si elles n’étaient pas nécessaires, non plus de par une légitimité intrinsèque, mais de par des nécessités qui demandaient satisfaction et auxquelles pour le moment il était impossible de mieux satisfaire. Nous avons vu comment il en finit avec les philosophes, , les églises et les gouvernemens : il ne s’inquiète pas si en réalité tous les hommes sont capables de conclure par eux-mêmes, et si, à côté du droit d’examen, il n’est pas bon d’instituer une conclusion toute faite à l’usage de ceux qui ne pourraient pas s’en faire une. Il ne s’inquiète pas davantage s’il a existé des monarchies tempérées, comme la monarchie anglaise, et si de fait elles ont produit des fruits de vie ou de mort, si les peuples se sont bien ou mal trouvés de conserver le droit de changer leurs lois, et pourtant de toujours reconnaître une loi obligatoire pour tous. Nullement. Les faits n’existent pas même pour M. Proudhon; il leur tourne le dos, et il déclare qu’en dehors de la monarchie absolue il ne peut plus y avoir que l’anarchie absolue, parce que, après avoir admis le principe de la souveraineté populaire, on ne peut plus admettre sans contradiction le principe d’autorité.

A l’égard de l’économie politique, sa manière de procéder est entièrement identique. D’un côté, il conçoit un principe d’échange qui consiste dans le droit d’acquérir, de vendre et de suivre à son choix toute profession, c’est-à-dire de disposer librement de sa propre industrie; d’un autre côté, il nomme principe de louage la faculté légale de prêter des capitaux à intérêt, de donner des terres à fermage, de retirer, en un mot, des bénéfices périodiques d’une valeur, en en concédant seulement l’usage. Cela posé, et sans prendre encore conseil des faits, il arrive à sa conclusion par une simple arithmétique de formules : il décide théoriquement qu’il n’y a pas de milieu possible entre le règne absolu du seul principe d’échange et le règne absolu du seul principe de louage. La féodalité, nous dit-il, n’accordait à personne le droit de posséder en nue propriété; elle ne l’accordait pas même aux grands vassaux, qui ne pouvaient pas aliéner leurs domaines; elle était donc le règne exclusif du louage. En dehors de la féodalité, il n’y a plus de place que pour le système d’échange qui supprime entièrement ce contrat. Le jour où la France a proclamé pour tous la liberté de posséder la terre et la liberté du travail, elle s’est mise dans l’inévitable nécessité d’enlever à l’argent le privilège de se prêter à intérêt. Et pourquoi cela? Parce qu’il y aurait contradiction à ne pas le faire; parce qu’admettre un des deux principes, c’est nier l’autre; parce que laisser au capital et à la terre la faculté de se louer, c’est leur reconnaître et le droit de fermer l’accès de la propriété au cultivateur, et le droit de constituer des fortunes ayant puissance de refuser crédit à qui veut travailler, partant d’enlever au prolétaire son droit au travail.