Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme une dérogation au principe, une usurpation du droit de la postérité. »

De la philosophie et de la religion, M. Proudhon passe à la politique, et c’est encore le même raisonnement qui se reproduit. « Lorsque Jurieu, appliquant au temporel le principe que Luther avait invoqué au spirituel, eut opposé au gouvernement de droit divin la souveraineté du peuple, quelle conséquence en tirèrent les publicistes? Qu’aux formes du gouvernement monarchique il fallait substituer les formes d’un autre gouvernement qu’on supposait en tout l’opposé du premier, et qu’on appelait par anticipation gouvernement républicain... Après avoir démoli, il fallait réédifier, pensait-on. Eh bien ! ici encore l’histoire prouve, et la logique est d’accord avec l’histoire, que ces réformateurs politiques se trompaient. Il n’y a pas deux sortes de gouvernement, il n’y en a qu’une…… Ce qu’on appelle ici aristocratie, là démocratie ou république, n’est qu’une monarchie sans monarque. Or, la forme du gouvernement royal une fois entamée par le contrôle démocratique, que la dynastie soit conservée comme en Angleterre ou supprimée comme aux États-Unis, peu importe; il est nécessaire que de dégradation en dégradation cette forme périsse tout entière, sans que le vide qu’elle laisse après elle puisse jamais être comblé. Après la royauté, il n’y a rien. »

Ce sont là à notre avis d’étranges conclusions, étrangement rattachées à des prémisses du reste fort perspicaces, et pour nous il y a quelque chose de douloureux à voir ainsi côte à côte des données qui dénotent une intelligence remarquable et des conclusions qui révèlent seulement qu’avec de hautes facultés on peut n’aboutir qu’au zénith de l’aberration. Si une pareille argumentation était juste, nous serions obligés d’admettre que l’homme, la plante, l’animal, tout ce qui se développe tend seulement à se dépouiller de toute forme, c’est-à-dire à s’anéantir le plus tôt possible. En voyant l’enfant grandir, la physiologie avait supposé jusqu’ici qu’il était appelé à devenir un adolescent, puis un homme : erreur! après l’état embryonnaire il n’y a rien. La vie qui est venue animer le nouvel être est un principe de libre transformation; c’est pour lui la faculté de prendre une série de conformations successives, ce qui équivaut à la nullité de conformation. — Sa loi étant de changer sans cesse, tout état de santé et toute conformation physique que sa nature pourrait se donner seraient condamnés d’avance comme une dérogation au principe, une usurpation des droits du lendemain. Ce serait engager la vie au nom de la vie. Donc la destinée des hommes est de n’avoir ni corps ni figure, et pour les faire vivre suivant la loi de leur nature, il convient de les exterminer!

Une théorie comme celle de M. Proudhon tombe d’elle seule; à vrai dire, elle n’est pas même un faux raisonnement, car la conclusion n’a point été déterminée par les considérations sur lesquelles elle