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retenues dans leur sphère. Elles ont beau se faire illusion sur les produits de leurs recherches, elles ont beau donner pour une vérité complète ce qui n’est qu’un élément de vérité, — comme elles se contentent d’émettre leurs jugemens, il y a toujours moyen de les utiliser suivant leur valeur. Mais qu’une révolution vienne à éclater au milieu de cet accord, aussitôt une malédiction s’abat sur une infinité de capacités. Chacun veut faire à lui seul toute la besogne. Le praticien qui eût pu rendre de bons services en se bornant à dégrossir les marbres apporte lui-même sur la place publique ses statues informes; l’observateur qui est admirablement doué pour saisir un coin des questions prétend faire accepter le coin pour la totalité : en sortant de leurs rôles, toutes les aptitudes deviennent ainsi des inepties. Les bonnes intentions s’emploient à batailler pour des causes qui ne peuvent que faire le mal, et les hommes sont réduits à redouter et à combattre les uns chez les autres jusqu’aux plus nobles qualités.

A lire attentivement les écrits de M. Proudhon, ces réflexions se présentent naturellement à l’esprit, car à chaque page on rencontre des idées qui, à leur place, auraient pu contribuer à l’éducation générale. Chez lui, le point de départ a été bon. M. Proudhon a senti et bien dit que « les lois de l’économie sociale étaient indépendantes de la volonté de l’homme et du législateur, que notre privilège était de les reconnaître, notre dignité d’y obéir. » Toucher ainsi la terre, ne fût-ce que d’un pied, c’était devenir en tout cas une moitié d’Antée pour culbuter les filles des nuages, les utopies du jour et de la veille, et en effet il a porté de rudes coups à l’association et à son principe de solidarité, au radicalisme et à son gouvernement direct du peuple, à Rousseau et à a sa maxime mensongère, spoliatrice, homicide, que l’individu seul est bon et que la société le déprave. » S’il s’est jeté d’un extrême dans un autre, il a au moins concouru à faire la lumière en répétant que c’était folie de chercher la forme sociale définitive où tendait l’humanité, que l’humanité marchait pour avancer et non pour arriver à l’immobilité. M. Proudhon a fait plus, il a sapé la base de toutes les théories destructives, sans excepter la sienne, en rappelant « qu’il ne peut être question de toucher à la société elle-même, qui doit être considérée comme un être supérieur doué d’une vie propre, et qui par conséquent exclut toute idée de reconstitution arbitraire. » Comme critique en un mot, l’auteur des Contradictions économiques a fait œuvre utile en réfutant les erreurs des diverses écoles, et même en dénonçant les inconvéniens inhérens à nos institutions : si ces inconvéniens ne prouvent pas contre elles, ils ne sont pas moins les dangers qu’il importe de connaître et auxquels notre tâche est de parer. Voilà déjà de nombreux mérites, et ils ne sont pas les seuls. Malheureusement nous vivons à une époque de révolutions, et de tous