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ce siècle parmi les Slaves du sud, quand on pense à ces systèmes incroyables d’orthographe, à ces littératures microscopiques qui se. disputaient chaque coin de la Iugo-Slavie, on ne peut s’empêcher d’admirer la constance déployée par les chefs de ce mouvement de centralisation littéraire. Que de dégoûts il leur a fallu vaincre, quelle patience pour répondre à toutes les niaises objections du provincialisme et des intérêts de clocher! En dépit de mille obstacles, les Slaves du sud sont maintenant parvenus, après vingt ans d’efforts, à se frayer, par l’unité littéraire, un large chemin vers l’unité sociale. Toutes ces provinces serbes et illyriennes de Turquie, de Hongrie, d’Autriche, naguère encore séparées les unes des autres par des barrières de tant d’espèces, sont cependant parvenues à s’unir au sein d’une langue commune, qui est celle de la branche la plus nombreuse des Iugo-Slaves, la branche serbe, répandue tout le long de l’Adriatique et sur près de la moitié du cours du Danube. Un théâtre où l’on joue des drames en langue serbe a même fini par s’élever à Agram, et les conquêtes de cette langue dans tous les rangs de la société sont devenues telles que les diétines de la plupart des comitats avaient, en 1848, abandonné complètement la langue latine pour s’exprimer, comme on disait alors, en illyrien.

On s’est du reste beaucoup trop hâté de décerner à Liudevit Gaï presque exclusivement tout le mérite de cette rénovation intellectuelle. Ce vaste travail fut l’œuvre collective d’une pléiade d’écrivains plus indépendans, mieux inspirés, et surtout plus patriotiques que Gaï. Parmi eux, nous nous contenterons de citer le créateur du théâtre iugo-slave actuel, le puissant Demeter, qui, pour l’énergie de la pensée, rivalise avec Pouchkin; Stanko Vraz, sans rival pour la tendresse du sentiment et la concision du style; le gracieux Subbotitj, dont les ballades ont le rare privilège d’être chantées à la fois dans les salons et les chaumières; le classique et sévère Ostrojinski, dont le poème intitulé la Vila est regardé comme le plus pur modèle de style illyro-serbe, et surtout l’auteur des Slavianka (élégies slaves), Ivan Kukulievitj, le poète politique par excellence des Iugo-Slaves.

Ce n’est pas la Hongrie seule qui voit cette littérature fleurir. La poésie serbe vivifie encore la moitié de la Turquie d’Europe. Son centre de rayonnement, son Athènes actuelle est Belgrad. C’est là que l’illuminateur serbe Dosithée Obradovitj a pu fonder une école durable, d’où sortent aujourd’hui des poètes et des savans dignes de l’Europe. Nous ne citerons parmi eux qu’un seul nom, celui de Sima Milutinovitj, que Goethe appelait son héritier oriental, et qui à lui seul suffirait pour immortaliser le peuple d’où il est sorti. Ce qui assure d’ailleurs à ce peuple un développement régulier et normal, ce sont ses instincts d’originalité et son dégoût pour tout ce qui sent l’imitation étrangère. Les