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chances de développement qu’en se maintenant dans la grande voie ouverte par ce révélateur d’un nouvel idéal.

A côté de la poésie, la critique scientifique et littéraire compte aussi en Pologne, depuis 1830, d’importans résultats. On peut s’en convaincre en parcourant les volumineuses collections de la Biblioteka Varszavska, du Tygodnik (la Semaine), du Przeglad poznanski (la Revue Posnanienne) et d’une foule d’autres recueils. L’érudition rétrospective surtout a tiré de l’oubli d’inappréciables trésors, au point qu’on peut regarder l’histoire ancienne de la Pologne et du monde slave comme étant aujourd’hui complètement à refaire d’après les documens nouveaux. L’infortuné comte Edouard Raczynski a travaillé toute sa vie avec plus de zèle que personne à cette féconde exhumation d’un passé qui prépare l’avenir. Jusqu’à ce jour, l’infatigable Voicicki. qu’anime un si beau culte pour tous les débris poétiques de sa patrie, poursuit le cours de ses publications, mine immense d’érudition et de découvertes archéologiques en tout genre.

Parmi les romanciers devenus populaires en Pologne se signale Ignace Kraszevski, dont l’œuvre la mieux inspirée, la plus parfaitement polonaise, est celle de Poeta i Sviat (le poète et le Monde), publiée en 1842; mais son extrême facilité a nui à l’essor de son talent. Sur la foule de ses romans et de ses nouvelles, qu’il ne se donne presque jamais la peine d’achever, très peu échapperont à l’oubli. On peut nommer encore Adam Goszczynski pour ses nouvelles pleines de verve nationale; Clémentine Hofmanova, née Tanska, pour ses romans de mœurs domestiques; le poète ukrainien Michel Czayka pour ses romans d’histoire et de fédéralisme polono-slave, comme son Vorny Hora; enfin le mordant Massalski pour son admirable roman satirique Pan Podstolits, digne continuation de l’œuvre célèbre de Krasicki intitulée Pan Podstoli.

D’après tout ce qu’on vient de voir, il est clair que la littérature et l’esprit polonais ne sont arrivés à la pleine conscience d’eux-mêmes que depuis un petit nombre d’années: ils n’ont, à vrai dire, atteint leur maturité que depuis les derniers démembremens. Il y a donc une vie puissante cachée au fond de cette littérature et de cette nationalité de la Pologne, qui, dans chaque catastrophe nouvelle dont elle est frappée, sait puiser de nouvelles forces. La Pologne nous démontre avec évidence combien il importe à une nation de rester elle-même et de se développer d’après son génie propre, si elle ne veut pas périr. Redoutable encore politiquement au XVIIIe siècle, la Pologne n’avait cependant plus dès-lors qu’une existence nominale. Elle n’était, comme puissance intellectuelle, qu’une annexe de l’Occident; elle se vantait follement d’être la France du nord. Aujourd’hui, politiquement annulée, elle occupe, à l’aide de sa littérature toute nationale et toute