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paisiblement idyllique ne rencontra plus, à partir de 1830, qu’un public indifférent. Les pauvres Polonais, par des ruisseaux de sang héroïquement versés pour leur patrie sur tous les champs de bataille de l’Europe, avaient payé assez cher le droit d’avoir enfin un drame où se reflétât leur vie nationale. Le nouveau drame polonais ne pouvait être que le drame slave à sa plus haute expression; mais quelles immenses difficultés n’y a-t-il pas à vaincre pour créer le drame slave! — Concentrant dans son vaste foyer le rayonnement de tous les autres genres de poésie, expression de la plus méconnue des races européennes, il doit nous révéler les plus ardentes aspirations de l’humanité vers le progrès, être comme une vision prophétique de la délivrance. Le théâtre, qui est dans tous les siècles l’organe le plus retentissant de la société et de ses tendances, le théâtre, dans les époques de transition et de crise, élève naturellement le dramaturge à l’état de prophète. Cette grande mission fut dévolue par la Pologne même à Mickievicz. On crut voir le début du nouveau drame polonais dans ses Dziady; mais ce drame lyrique n’a absolument de dramatique que sa forme dialoguée, et il ne remplit, tout comme son autre poème de Vallenrod, aucune des conditions imposées au vrai drame. Les Dziady (littéralement les ancêtres) ne sont pas davantage une émanation des idées politiques ou sociales de notre temps : c’est un tableau, non pas un drame; c’est une peinture de sentimens purement individuels, une admirable rêverie esthétique sur le monde passé, une velléité de résurrection de ce qui est mort et mort pour jamais, tout cela dans un style d’ailleurs trop aristocratique et mal approprié à l’intelligence du peuple. Mickievicz sentait lui-même ces côtés faibles. Il aspirait au vrai drame, et il tâcha d’y atteindre en publiant la continuation de ses Dziady; mais, malgré une manière plus vive, les nouveaux Dziady, sans action extérieure, sans mouvement théâtral, ne sont, comme les premiers, qu’un poème essentiellement lyrique.

Le premier tragique polonais dans le groupe dominé parMickiewicz est Joseph Korzeniovski, qui s’était révélé, dès 1830, par sa tragédie du Moine, et qui a publié depuis ce temps beaucoup d’autres drames, tous remarquables par une ardente imagination et par une grande variété dans le jeu et l’action des personnages. Cependant Korzeniovski n’entre pas assez dans l’esprit et les besoins de la société actuelle : il l’effleure, et, loin de songer à les guérir, il craint d’en toucher les blessures. Le même reproche doit s’adresser au comte Alexandre Fredro de Léopol, dont on a cinq volumes de comédies, constamment jouées avec succès sur tous les théâtres de la Pologne, mais qui ne reproduisent guère que le côté plaisant et humoristique des mœurs populaires. La Pologne demandait un représentant plus sérieux de sa vie si hautement tragique : elle le trouva dans Slovacki.