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même temps plus dégagé, plus indépendant et plus original que jamais. On peut dire que les deux Potocki ont achevé, par leur large appréciation de toutes choses, l’émancipation de l’esprit national en Pologne.

La subite coalition et l’invasion combinée des Russes, des Prussiens et des Autrichiens sur le sol de la république vinrent brusquement interrompre ce brillant réveil des lettres à Varsovie. La conquête appesantit son joug sur cette société prédestinée à tant d’expiations, et dont les citoyens les plus énergiques durent s’exiler; mais, au lieu d’étouffer l’intelligence polonaise, cette catastrophe sembla lui imprimer un nouvel élan. La littérature ne devenait-elle pas l’unique consolation morale des opprimés? Aussi continua-t-elle sa marche dans la voie large et féconde où l’avaient jetée les deux Potocki. La poésie seule restait en arrière, et l’engouement des polonais pour la prétendue école classique française devenait de plus en plus aveugle. Cette école était déjà répudiée par l’Europe entière, par la France elle-même, qu’elle régnait encore despotiquement à Varsovie, où l’abbé Delille continuait d’être le seul type du beau. Les poètes Polonais cherchaient uniquement la richesse des rimes et l’exposition théâtrale des sentimens. Ils faisaient consister le génie à rendre, comme des sculpteurs ou des peintres, le contour des formes, la couleur et jusqu’aux sons de la nature. Quant à la profondeur des pensées, à la vérité des sentimens, on s’en inquiétait peu. Les rudes guerriers de la Pologne gardaient dans les poèmes des imitateurs de la France tous les airs des courtisans poudrés de Louis XV. Heureusement le pays même d’où cette ridicule manie s’était répandue chez les Slaves devait renvoyer enfui à la Pologne les élémens d’une nouvelle vie : la France s’était frayé dans les lettres, comme dans la politique, un chemin plus large et plus vrai. Les premiers représentans des théories nouvelles en France déconcertèrent toutes les traditions académiques de la Pologne; ils la forcèrent à s’interroger elle-même et à soumettre à l’examen les principes jusqu’ici admis par elle comme les seuls dogmes du bon goût. Dès-lors c’en fut fait de l’ancienne école. Le dernier coryphée du Parnasse classique de Pologne fut Felinski, qu’on regarda quelque temps comme un génie sans pareil. Il a laissé une traduction en sa langue des œuvres de Delille, qui surpasse l’original même pour la grâce mignarde, l’exquise recherche et l’harmonie vraiment musicale du style. Lassés enfin de ce pénible et stérile dilettantisme qui les séparait entièrement de la masse du peuple, les poètes s’éloignèrent des salons pour aller redemander à la vie populaire et rustique la poésie native de leur patrie. Les lauréats de Varsovie eux-mêmes commencèrent à ne plus chanter que les héros nationaux, et les plus anciens devinrent les plus chers; les trois premiers Boleslas semblèrent ressusciter. Toutes les légendes