Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lumineuse une fois recouverte de ténèbres, le monde slave semble presque tout entier retombé dans la barbarie, et, comme pour mieux montrer l’antagonisme institué par la Providence même entre l’orient et l’occident de l’Europe, cette époque si sombre et si néfaste pour toutes les nations slaves était chez nous la brillante époque de Voltaire et de tous les beaux esprits encyclopédistes, qui préparèrent le grand mouvement de 89.


III. — RENAISSANCE DES LETTRES SLAVES EN POLOGNE ET EN RUSSIE.

L’explosion révolutionnaire française tira de leur léthargie toutes les littératures slaves à la fois. Malheureusement le puissant esprit de progrès qui leur rendait la vie leur imposait en même temps des conditions d’existence qui n’étaient pas dans leur nature. Ce ne fut donc d’abord qu’une nouvelle phase du latinisme, qui, sous le masque de Voltaire et de Rousseau, s’implanta en terre slave et y succéda au jésuitisme. Le joug de l’esprit français pesa plus lourdement que jamais sur les nationalités slaves, qu’il empêchait d’éclore. Des Français fugitifs obtinrent le monopole de l’éducation de tous les enfans nobles. Ceux qui auparavant ne s’exprimaient qu’en latin écrivirent désormais en français. Les magnats rimaient de prétendus poèmes et jusqu’à des drames qu’ils venaient faire applaudir à Paris. Ceux qui auparavant avaient lu Virgile ou Homère se contentaient de l’abbé Delille. Les mémoires scandaleux sur les maîtresses de Louis XIV et les mystères du Parc-aux-Cerfs étaient la lecture favorite des seigneurs russes et polonais. S’ils ne se souvenaient plus de leur propre langue, à plus forte raison ignoraient-ils qu’il y eût autour d’eux des nations parlant des idiomes affiliés à celui de leur patrie. Un des beaux esprits de cette singulière époque, l’évêque Kossakovski, allant aux eaux de Karlsbad, s’étonne de comprendre une foule d’expressions des paysans bohèmes, de retour à Varsovie, il y parle de sa découverte, et passe pour un second Christophe Colomb.

Pour une époque de renaissance, c’étaient là d’assez étranges débuts: mais tout devait bientôt changer de l’ace. Une puissante famille, celle des princes Czartoryski allait imprimer au réveil de la littérature polonaise un caractère qui depuis lors ne s’est plus effacé. Les Czartoryski, d’origine ruthénienne et par suite rattachés à la souche slave plus fortement que les autres magnats polonais, commencent, quoique encore sous forme française, la rénovation nationale. A leur brillante cour de Pulavy, entourés comme des souverains de l’élite intellectuelle de la nation, ils présidaient dans la langue de Racine des séances littéraires qui rappelaient sous plus d’un rapport celles de notre Académie française. Parmi les écrivains fondateurs de l’ère nouvelle se