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champion de toutes les grandes batailles de 1800 à 1814 restera chez les Slaves comme un impérissable modèle où la grâce d’Anacréon s’unit à l’enthousiasme de Pindare.

La France ne pouvait tarder cependant à reprendre son empire sur les poètes russes. Avec le prince Viazemski et ses imitateurs, l’influence de notre littérature, rajeunie par Chateaubriand, Victor Hugo et Lamartine, régna de nouveau dans les salons de Pétersbourg. Nous ne poursuivrons pas plus long-temps ce tableau des marches et contre-marches, des premiers progrès et des premiers tâtonnemens de l’esprit russe, perpétuellement imitateur, courant à tout ce qui est nouveau, sans avoir de système propre. Le sceptique Alexandre Pouchkin, ce Byron de la Russie, mort si tristement en 1837, offre en lui le résumé de la littérature russe avant la période actuelle ; il en personnifie les inquiètes et vagues aspirations vers une originalité encore absente.

Le slavisme, on le voit, n’est que très imparfaitement représenté par la littérature russe. Les muses moscovites se sont laissé attirer, elles aussi, à l’instar des muses polonaises, dans le gouffre de l’imitation. Heureusement il existe chez les Slaves une littérature encore vierge, lestée à l’abri de toute invasion étrangère, et qui, grâce à son obscurité même, a pu se développer d’une manière normale et parfaitement naturelle : c’est la littérature des Slaves méridionaux ou Iugo-Slaves ; désignation qui comprend à la fois les Illyriens de l’Adriatique et les Serbes du Danube turc et autrichien, c’est-à-dire les plus anciens Slaves historiquement connus. Elle cache dans ses profondeurs, que jusqu’ici nul savant n’a pu sonder, tous les élémens primitifs du slavisme, en même temps qu’elle en couve tous les élémens futurs avec une chaleur de patriotisme qu’aucune autre nation n’égale.

Entre les deux littératures russe et polonaise, expressions de deux idées exclusives acharnées à s’entre-détruire, vient se placer cette littérature à la fois antique et nouvelle, comme une médiatrice amie, comme le trait d’union destiné à les rapprocher un jour. La littérature des Iugo-Slaves a déjà prouvé par plus d’un fait éclatant qu’elle est en état de prêter à la cause de l’émancipation des peuples et à la conservation de l’ordre européen tout à la fois un puissant concours. Enfin, par sa fidélité, jusqu’à ce jour inaltérable, aux types et aux instincts primitifs de la race, cette littérature est incontestablement aujourd’hui la plus vraiment slave de toutes celles qui portent ce nom.

L’époque d’efflorescence des lettres illyro-serbes commence vers le milieu du XVe siècle et se prolonge jusque vers la moitié du XVIIe. Raguse, la république latine des Slaves du sud, devient alors leur Athènes. Sa grandeur date du jour où, après la fatale bataille de Kosovo (en 1389), toutes les sommités sociales de l’ancien empire serbe, proscrites et fugitives, cherchèrent asile dans ses murs contre la fureur des