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feuilles dans les recherches qu’il faisait au British Museum, et ne conçut aucun doute sur leur authenticité. Dans la biographie d’un grammairien et d’un journaliste écossais publiée en 1794, il fit honneur de l’invention des journaux à l’Angleterre et au règne d’Elisabeth, et il expliqua, par là terreur profonde qu’avait inspirée l’Armada aux Anglais, le recours à un nouveau mode de répandre les nouvelles. Sur la foi de Chalmers, toutes les encyclopédies, tous les dictionnaires, tous les auteurs qui ont eu occasion de parler des journaux ont, depuis cinquante ans, fait remonter au règne d’Élisabeth l’apparition de la première feuille périodique. En 1839, un employé du British Museum, M. Thomas Watts, s’avisa enfin d’ouvrir le précieux volume qui contenait l’English Mercurie, et le premier coup d’œil le convainquit que le prétendu journal de 1588 était l’œuvre d’un faussaire. Les caractères d’impression étaient manifestement de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et la distinction entre les u et les v, entre les i et les j, absolument inconnue aux imprimeurs du XVIe siècle, était partout soigneusement observée. A part même ces indices matériels, l’examen du texte ne pouvait laisser aucun doute. Le faux journal donne à sir Francis Vere le titre de chevalier plusieurs mois avant que cet officier l’eût reçu d’Elisabeth; il emploie des mots qui n’étaient point encore en usage au XVIe siècle; il fait remporter une victoire par Drake un jour où l’amiral anglais courut au contraire le plus grand danger d’être pris par les Espagnols. M. Watts, dans une brochure, démontra péremptoirement la fraude dont Chalmers avait été la dupe, et des recherches subséquentes lui ont permis d’attribuer au second lord Hardwicke la responsabilité de cette supercherie littéraire.

Le journal est né presque simultanément en Angleterre, en France, en Hollande, sous l’influence des mêmes causes. La controverse religieuse, si ardente au XVIe siècle, trouva dans l’imprimerie un instrument à la fois et un aliment. Les gros livres, trop longs à écrire, trop longs surtout à lire, firent place aux petits traités courans qu’il était facile de répandre. Les traités eux-mêmes furent supplantés par les manifestes, les proclamations, les satires, imprimes sur des feuilles isolées et habituellement d’un seul côté, qu’on obtenait à bon marché, qu’on se passait sous le manteau, et qu’au besoin on affichait pendant la nuit. Les partis, pour enflammer le zèle ou soutenir l’ardeur de leurs adhérens, faisaient imprimer et distribuer la relation des avantages qu’ils avaient obtenus. C’est par des circulaires de ce genre, cachées dans des selles de cheval, dans la doublure d’un manteau de voyage, que les protestans de France apprenaient les victoires de leurs coreligionnaires d’Allemagne, et ils usaient à leur tour du même moyen.. L’usage devint bientôt général d’imprimer sur des feuilles séparées et de vendre à bas prix les relations de tous les événemens remarquables,