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Il me reste à mentionner un écrivain qui résume assez bien en lui les progrès et les aptitudes de la littérature jaune, un écrivain qu’aucune inexpérience de forme ne rattache à ses devanciers, et qui, s’il ne signait pas Linstant (d’Haïti), se classerait honorablement parmi les bons publicistes européens. J’ai là de lui deux livres qui, sans se rattacher directement à l’histoire locale[1], pourraient lui servir, l’un de préface, l’autre de conclusion. Le premier est un Essai sur les moyens d’extirper les préjugés de couleur[2] (protestation doublement heureuse, car cet écrit a été couronné par la société française pour l’abolition de l’esclavage); le second traite de l’Émigration européenne dans ses rapports avec la prospérité future des colonies[3]. — Le préjugé de couleur, qui, après avoir rebondi de gradin en gradin du maître à l’esclave, est remonté du nègre au mulâtre, du nègre illettré au nègre lettré, voilà bien, en effet, le germe et comme le sanglant avant-propos de l’histoire haïtienne, de cette histoire qui commence aux massacres de Toussaint pour aboutir aux massacres de Soulouque. — L’immigration blanche, voilà bien encore la suprême, l’unique planche de salut à jeter sur ce torrent de barbarie qui, depuis 1848, a totalement envahi la plus belle des Antilles. Par une réticence significative, M. Linstant, dont la thèse se rapporte pour le moins autant à Saint-Domingue qu’aux îles anglaises, espagnoles et françaises, ne nomme pas une seule fois son pays. C’est M. Saint-Rémy qui aura eu le premier l’honneur de rompre cette longue conspiration du silence sous laquelle s’abrite, depuis Dessalines, l’article constitutionnel de l’exclusion des blancs. Il a à ce sujet, dans son essai historique sur Boisrond-Tonnerre, une page véritablement éloquente et devant laquelle l’hypocrisie la plus invétérée, la défiance la plus ombrageuse, seraient forcées d’avouer que le cri de la civilisation n’est ici que l’écho d’un ardent patriotisme. Ce cri sera-t-il spontanément répété à Port-au-Prince? Soulouque aimera-t-il mieux attendre qu’il soit vomi par les sabords de quelque pirate annexioniste courant des bordées entre Cuba et Puerto-Rico? Là est toute la question.


GUSTAVE D’ALAUX.

  1. L’histoire proprement dite doit du reste à M. Linstant un travail précieux, le Recueil général des lois et actes du gouvernement d’Haïti. (Paris, 1851, chez Durand, rue des Grès.) Beaucoup de ces lois et actes n’avaient pas été classés dans les archives de l’état, et d’autres en avaient disparu par le fait même du gouvernement, désireux d’effacer la trace de certaines fausses mesures.
  2. Paris, 1842; Pagnerre, éditeur.
  3. Paris, 1850; France, éditeur.