était bien autrement dure que celle de l’atelier, — ils opposaient à cela l’inappréciable avantage de n’être battus et estropiés que par des esclaves comme eux, c’est-à-dire en famille : Chien pas jamais mode petite li jouque dans zios[1]. La sagesse nègre, qui, plus tard, avait si bien jugé les scrupules libéraux dont s’était inspiré le commissaire de la convention Polverel dans son règlement du travail libre (commissai Polverel, li bête trop), caractérisait d’une façon plus pittoresque encore la candide et enthousiaste sécurité de négrophile avec laquelle l’autre commissaire, Sonlhonax, livrait peu à peu à Toussaint-Louverture tous les fils de l’autorité coloniale : Cé chate ous mettez pour garder zavocats[2].
Encore un type bien défiguré par la plupart des historiens locaux que ce Toussaint. Dans presque tous les récits qui le concernent, les harangues désordonnées qu’il débitait en chaire ou des fenêtres du palais du gouvernement contre la caste jaune deviennent des discours en quatre points, que rien ne distingue de la flasque et irréprochable éloquence du Moniteur de l’époque. C’est un parfait contre-sens. L’unique recherche classique de Toussaint consistait à semer çà et là quelques bouts de phrases latines, ou soi-disant telles, pour commander le respect à ses auditeurs : à part cet innocent artifice, c’est aux boutades imagées et décousues des proverbes créoles qu’il demandait ses plus perfides insinuations, sans oublier surtout celui-ci, qu’accueillait invariablement un sourd et universel frémissement de haine : Quand mulâte gagné youn viou chouval, yo dit négresse pas maman yo[3]. — Universel n’est pas le mot : la compassion ou le bon sens des nègres protestait parfois et dans le même style contre ces appels de mort. Un jour (je tiens la scène d’un témoin oculaire), un vieux jardinier sortant de la foule demande et obtient, par un privilège que les noirs de tout rang ne refusent jamais à l’âge, la permission d’interrompre le gouverneur : « Je suis jardinier, dit-il, et, comme je suis vieux, j’ai semé beaucoup de pois. (Tirant une poignée de graines de sa macoute :) Justement en voici; est-ce qu’ils ne se ressemblent pas tous? (Marques d’assentiment.) S’ils se ressemblent tous, c’est qu’ils sont de la même famille. Eh bien! gouverneur, quand je les sème, les uns deviennent des pois blancs, les autres des pois noirs, les autres des pois rouges, et les pois rouges sont aussi bons que les pois noirs et les pois blancs... » — «Bien, bien, vieux père,» dit vivement Toussaint, qui devinait la conclusion de cet apologue et tenait à la prévenir, » je vous écouterais