Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1073

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Brises aux doux soupirs, fraîches et parfumées
D’espérance et d’illusions.

Enchantemens divins qui d’une aile légère
Fuyez pour ne plus revenir.
Ah! ceux que vous quittez devraient dans leur misère
Perdre au moins votre souvenir.

Imagination, mon agile cavale,
Ce beau soleil à l’horizon
Éclaire les débris de nos kiosques d’opale :
Allons gémir à la maison.

Il y a certes loin de ces vers aux bucoliques jeannoteries du librettiste de Christophe; il y a juste la distance qui sépare, chez nous, la poésie de 1840 de la poésie de 1800. Toutes les évolutions accomplies dans cette période par l’école française ont été en effet rigoureusement suivies par les poètes haïtiens, — à bien des pas en arrière, s’entend, mais point si en arrière qu’on pourrait le supposer. Si l’opéra de Chanlatte n’est presque partout que la sérieuse et confiante parodie des plus célèbres naïvetés de nos livrets, on y rencontre pourtant çà et là un ou deux morceaux qui ne valent ni plus ni moins, en somme, que les nombreux couplets taillés chez nous sur le patron de Partant pour la Syrie ou de Vive Henri IV. J’ai eu l’occasion de citer une épigramme de Dupré que des littératures arrêtées ne désavoueraient pas; — ôtez encore à ses hymnes patriotiques certaines chevilles, certains lieux communs qui s’en seraient détachés d’eux-mêmes au premier frottement de la critique, et vous aurez aussi bien, souvent mieux, qu’aucune des chansons contemporaines qui aient jamais engraissé « les champs » du sang des « tyrans. » La première classe de l’Institut a avancé le fauteuil à des fabulistes qui auraient assurément signé quelques-unes des trop nombreuses productions que Milscent confiait à son recueil — l’Abeille haïtienne. Ce qu’on remarque surtout dans ses fables, c’est une certaine élégance sobre, aisée et correcte qu’on ne s’attendrait guère à trouver au milieu des pousses enchevêtrées et désordonnées de cette littérature en friche. Milscent était vraisemblablement moins poète que tels de ses collaborateurs dont les arborescentes métaphores bravent le plus naïvement du monde la serpe et le cordeau de la grammaire; mais il eût très bien fait sa partie dans ces salons du dernier siècle où le talent de rimer agréablement le petit vers était en quelque sorte un accessoire de toilette[1]. Veut-on de la poésie didactique ? Elle s’essaie d’abord par petite fragmens coupés de prose dans les « réflexions sur

  1. Milscent avait été élevé en France et a péri, il y a une douane d’années, lors du tremblement de terre qui renversa le Cap. Par une innovation qui venait suppléer fort à propos à la pénurie des moyens de publicité et au contrôle insuffisant d’un public fort peu lettré, l’Abeille faisait parfois suivre les morceaux qu’elle insérait d’une appréciation critique.