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peut remédier par des dispenses et force pénitences, cette mère, dis-je, est cruelle, elle n’a point d’entrailles. Dieu, dans sa colère, fera descendre sur elle une longue suite de maux qui couvrira sa maison de deuil et de gémissemens ! » Oui, voilà ce qu’a dit un bon prêtre dont l’autorité sacrée était heureusement intervenue entre le fanatisme d’une femme et l’amour d’une fille.

« — Et qu’a-t-elle fait, cette femme ? demanda Bonite attendrie.

« — Elle s’est soumise, parce qu’elle avait senti toute la sagesse d’un pareil langage.

« — Quel que soit le prix, dit la mère, qu’on exigera de moi pour le bonheur de ma fille, Je ne saurais trop chèrement l’acheter. Tu iras demain à la Croix-des-Bouquets, tu diras à ce prêtre que je vouerai toute ma vie à la pénitence, tu lui diras que j’accomplirai à la lettre sa volonté, qui est celle de Dieu, et que je paierai la dispense de toute ma fortune ; mais j’exige de toi une chose : c’est de n’en rien dire à Marie jusqu’à l’expiration de quarante-huit heures.

« — Ma pauvre sœur ! repartit Jean avec une joie mêlée de pleurs, et vous, ma mère…. ah ! vous êtes bien digne ! Maudit soit l’enfant qui n’aime point sa mère ! Alexandre et Marie sont exemplaires par leur travail et l’aménité de leur caractère ; aussi le bonheur les accompagnera-t-il partout. »

On pourrait soupçonner l’auteur d’avoir voulu accumuler ici, comme par gageure, les monstruosités et les invraisemblances ; mais nous sommes encore une fois dans un monde à part, et, pour qui voudra bien se rappeler comment se recrute le clergé haïtien, la casuistique du « bon curé » ne pêche nullement contre la couleur locale. Le soin que prend l’auteur de préciser sans nécessité visible chaque date, chaque nom de personne et de lieu, prouve même, avec quelques autres indices, que son récit est plus que vraisemblable, et qu’il est rigoureusement, prosaïquement vrai. La vérité y règne si tyranniquement, qu’elle vient changer fort mal à propos le dénoûment naturel de ces excentriques amours. Dans les quarante-huit heures que la mère s’est réservées pour marchander d’avance auprès du vertueux curé le rachat de l’inceste, Marie, qui ne soupçonne pas ce complot de l’amour maternel, Marie est allée promener son désespoir dans les bois, et un vagabond qui la rencontre par hasard la viole et la tue. À l’idée que son enfant a quitté ce monde en emportant un mauvais souvenir d’elle, la mère se reproche en sanglotant sa résistance momentanée à un amour « légitime peut-être, » et demande pardon à la morte des angoisses que sa « misérable intolérance » lui a fait souffrir. Désespéré de n’avoir pu devenir le père de ses neveux, l’amant ne survit pas à l’amante ; Paul va retrouver Virginie, et, dans ce nouveau deuil qui la frappe, la mère voit encore un châtiment providentiel de sa dureté. La morale vulgaire reprend d’ailleurs un moment ses droits par la bouche d’un curé du voisinage, « M. Paul Lory, » qui est venu assister aux funérailles, et qui adresse aux pères de famille, entre deux