Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1045

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et c’était plaisir de l’entendre… Mais tiens, le voilà qui sort avec nos anciens. C’est aujourd’hui que l’armée décidera ce qu’elle doit faire. Vois, on plante déjà les bountchougs[1] et les timbales nous appellent. (Entrent Grégoire Otrepief, l’ataman supérieur des Zaporogues, les anciens, foule de Cosaques. Ils forment un grand cercle au milieu duquel se placent l’ataman supérieur et Grégoire.)

L’ATAMAN SUPERIEUR, une masse d’argent à la main, ôtant son bonnet. — Braves atamans[2], j’ai fait réunir le camp pour lui communiquer les nouvelles qui viennent de nous arriver de Pologne. Le tsarévitch Démétrius Ivanovitch nous écrit qu’il n’est point mort, comme on l’avait cru. Il est vrai que Boris a voulu l’assassiner, mais il a manqué son coup. Le tsarévitch, qui est devenu grand, a résolu de se venger de Boris, comme il est juste, et nous prie de l’aider. Si quelqu’un de vous a quelque chose à dire là-dessus, qu’il parle. (Il remet son bonnet.)

GREGOIRE. — Chrétiens mes frères… c’est-à-dire braves atamans, je ne vous raconterai pas comment le tsarévitch a échappé aux embûches de ses ennemis ; l’histoire serait longue, et je sais que vous n’aimez pas les longs discours. Qu’il vous suffise de savoir que le prince Dmitri est vivant et qu’il m’a chargé de vous assurer de son estime. Je n’ai pas besoin de vous dire, braves atamans, quel homme est Boris, qui se dit tsar à Moscou, fils de Tartare, lui-même plus Tartare que chrétien. Vous savez qu’il est l’ami intime de Kassim Ghereï, le khan de Crimée, et tous deux complotent votre ruine. Quand un de vos régimens est surpris par les Tartares, comme il advint l’an passé à Gheraz Évanghel, aujourd’hui en paradis, je l’espère, croyez, mes chers amis, que les païens sont avertis de vos mouvemens par Boris, et qu’il leur paie 5 roubles par oreille de Zaporogue qu’ils rapportent…

PLUSIEURS VOIX. — Il dit vrai ! Boris nous trahit.

GREGOIRE. — Mon légitime seigneur, le tsarévitch Démétrius, touché des maux que vous a faits ce tyran, et d’ailleurs ayant son compte particulier à régler avec Boris, m’a chargé de vous dire, braves atamans, que sous peu il déploiera sa bannière aux bords du Dniepr aussitôt qu’il aura rassemblé une armée que le roi de Pologne a promis de lui donner. Il ira droit à Moscou, et, si vous voulez les oreilles de Boris, il est prêt à vous en faire présent Mon maître espère que vous vous joindrez à lui pour cette expédition. C’est à quoi il vous convie par cette lettre écrite sur parchemin, notez-le bien, comme il écrit au roi de Pologne et au sultan, afin de vous mieux témoigner sa considération particulière. Vos atamans ont lu la lettre, et vous pouvez tous voir qu’elle est munie du sceau impérial, (Il élève la lettre au-dessus de sa tête.)

VOIX. — Guerre à Boris !… À Moscou ! Vive le tsarévitch !

Un zaporogue. — Braves atamans, je reconnais que le moine a parlé bien, et je ne doute pas que son tsarévitch ne fasse un jour un glorieux tsar. Je leur souhaite, à l’un et à l’autre, toutes sortes de prospérités ; mais rappelez-vous qu’il y a deux mois à peine vous avez reçu un subside de Boris et juré paix avec lui. Si nous lui faisons la guerre sans provocation, que dira-t-on

  1. Queues de cheval au haut d’une lance, étendards des Cosaques.
  2. Atamany molodsi, formule consacrée de tout orateur parlant à une assemblée de Cosaques.