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DEUXIEME ATAMAN. — C’est pitié qu’il n’ait pas laissé de fils à ce pays.

TROISIEME ATAMAN. — Pitié qu’on ne lui ait pas laissé de fils.

PREMIER ATAMAN. — Silence, frères, nous sommes dans la steppe du Tartare. Croyez-le, enfans, le sang de Monomaque et de saint Dimitrii n’est pas épuisé. Qui vivra verra. (A Chouiski qui l’observe.) Seigneur boyard, ne pourriez-vous me dire si le tsar se montrera bientôt ?

BASILE. — Bientôt, je l’espère, mon oncle[1]. — Vous venez de l’armée du Don ? Tout y est tranquille ?

PREMIER ATAMAN. — Quand on a son cheval sellé, son arquebuse chargée, son sabre au côté, quand les enfans sont en sentinelle dans la steppe, qui empêche de se reposer un peu ?

BASILE. — Entre le tsar notre glorieux maître et le khan, il y a paix et amitié.

PREMIER ATAMAN. — En effet, amitié !

BASILE. — Vous avez un beau pays, un beau fleuve, de beaux troupeaux, bien à boire et à manger… que vous faut-il de plus ?

PREMIER ATAMAN. — Oui, tu as soif, voilà Don Ivanovitch.

BASILE. — Outre l’eau du Don, petit père, vous avez du kvas, de l’eau-de-vie…

PREMIER ATAMAN. — De l’eau-de-vie, petit père ? On ne veut plus que nous en buvions.

BASILE. — Au contraire, le tsar la fabrique exprès pour vous.

PREMIER ATAMAN. — Est-ce de l’eau-de-vie du tsar que tu bois, père, quand tu veux te mettre en gaieté ?

BASILE. — Vous voudriez bien avoir vos distilleries comme autrefois ?

PREMIER ATAMAN. — Chacun tient à ce qui lui a appartenu.

BASILE, bas à Fëdor. — Les marauds sont mécontens. (Haut.) Eh bien ! mes amis, adressez-vous au tsar ; sans doute, il vous accordera tout ce que vous lui demanderez, et, quand vous aurez obtenu de distiller votre eau-de-vie, nous irons en boire chez vous et manger des esturgeons.

FEDOR. — Si Semen Godounof nous accorde la permission de faire le voyage.

PREMIER ATAMAN. — Il vous faut une permission pour aller où vous voulez ?

BASILE. — Assurément. Nous prends-tu pour des gens de rien ?

PREMIER ATAMAN. — Vois-tu, petit père, je ne changerais pas ma peau de mouton contre ta pelisse de renard noir, s’il me fallait l’user dans le Kremlin… Mais n’est-ce pas le patriarche qui entre ? À genoux, enfans, et demandons-lui sa bénédiction. Je me trompe fort, ou c’est là tout ce que nous rapporterons au camp. (Entre le patriarche Job, suivi de Yourii en robe de moine.)

LES ATAMANS. — Très saint père, bénissez-nous, pauvres pécheurs !

JOB, à YOURII. — Vois, mon fils, l’humilité de ces gens de guerre Ce sont de vrais chrétiens orthodoxes, crois-moi, ces Cosaques dont tu as si peur. Je t’ai fait lire hier la légende du centenier qui fut sauvé pour avoir cru. Le Seigneur aura ces braves atamans en sa garde.

FEDOR, bas à Chouiski. — Et qu’il lui plaise de les bien garder !

  1. Manière affectueuse d’adresser la parole.