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LE

FAUX DÉMÉTRIUS.

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Vers le milieu de l’année 1603, un jeune homme de vingt à vingt-deux ans, page, selon les uns, cuisinier, selon les autres, d’un grand seigneur lithuanien, révéla à son maître qu’il était le tsarévitch Démétrius, fils du tsar Ivan-le-Terrible et le dernier rejeton de la maison impériale de Russie. Le véritable tsarévitch était mort en 1591, âgé de dix ans, sous le règne de son frère Fëdor Ivanovitch. On avait publié qu’il s’était percé la gorge d’un couteau dans une attaque d’épilepsie, maladie dont il était notoirement atteint ; mais l’opinion générale fut qu’il avait été assassiné par ordre de Boris Godounof, ministre de Fëdor, qui voulait ainsi se frayer un chemin au trône. De fait, Fëdor, prince imbécile, étant mort sans postérité en 1598, Boris, qui, depuis plusieurs années, avait le pouvoir et le titre de régent, fut élu tsar à Moscou. En 1603, il régnait paisiblement, mais également détesté par la noblesse et le peuple. C’était un despote habile, mais soupçonneux, cruel et tracassier. Il avait attaché les paysans à la glèbe en leur ôtant le droit de changer de domicile et de seigneur le jour de la Saint-George, antique privilège dont ils jouissaient avant lui. Il avait condamné, exilé, ruiné presque tous les boyards dont il redoutait l’ambition ou les talens. Il cherchait à réprimer les brigandages des Cosaques, qui à cette époque formaient plusieurs petites républiques, indépendantes de fait, mais nominalement sujettes de la Pologne ou de la Russie. Enfin Boris avait achevé de s’aliéner la nation russe par des tentatives de réforme qui choquaient les vieux préjugés.

Le moment était bien choisi pour une révolution. Au nom de Démétrius se rattachaient les souvenirs d’une antique dynastie regrettée du peuple. Il y a partout et dans tous les temps des gens qui ne peuvent se persuader que les princes meurent comme les autres hommes ; mais alors, en Russie, une