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REVUE DES DEUX MONDES.

s’arracher le droit de puiser dans le trésor, des contrées chaque jour à tout jamais frappées de stérilité par les dévastations et les incendies de la guerre ; chaque jour aussi des traités violés, des défaites honteuses, et une diplomatie de misérables expédiens : en un mot, la décadence byzantine sur le sol asiatique et tout autour les musulmans qui acculent de plus en plus l’empire sur le bord de la mer, — voilà le tableau de Trébizonde. Les hordes mongoles, ottomanes et persanes n’en sont pas la partie la moins intéressante. Les conquêtes des maîtres futurs de Constantinople sont expliquées en quelques mots, d’une manière frappante et qui satisfait l’esprit.

À la fin de son volume, M. Finlay a placé une table chronologique des souverains grecs, latins et musulmans. Dans ses notes, il cite consciencieusement ses autorités ; tout à travers son œuvre il montre des connaissances géographiques recueillies sur les lieux ; et, sans être moi-même complètement compétent pour juger l’exactitude de toutes ses conclusions, je puis reconnaître partout un esprit exact et précis. Sa narration seulement laisse à désirer. Plus enclin à s’enquérir des causes qu’à décrire les effets, il s’applique trop peu à raconter, et ses jugemens ne sont pas assez rattachés à son récit ; mais l’aridité même qui en résulte est de la bonne espèce : M. Finlay a les meilleures qualités de l’école historique de Mackintosh. Il est laconique et condensé ; il est positif surtout. Il n’a rien de ces écrivains philosophiques qui éclatent en interjections devant un éternel mirage, et qui, au lieu de voir en esprit les hommes et les choses du passé, aperçoivent seulement leurs vieilles visions, les idées que ces hommes et ces choses ont pu évoquer en eux. Lui, au contraire, il possède à un haut point la faculté de se représenter le passé dans sa réalité ; il le reconstruit par la réflexion jusqu’à lui donner du corps, et, s’il ne s’arrête pas à en peindre les aspects, il excelle à en donner le sentiment général.

En résumé, M. Finlay fait penser, et il laisse une impression qu’il y a toujours honneur à laisser : c’est que l’histoire est inépuisable et que les mêmes matériaux, ne pût-on rien y ajouter, pourraient encore fournir à chaque époque et à chaque homme une nouvelle histoire en répondant à chacun ce qu’ils ont à répondre à ses interrogations. Niebuhr, de notre temps, l’a glorieusement prouvé. Sans être des novateurs aussi inspirés, d’autres le prouvent encore après lui, et M. Finlay, pour sa part, est un bon exemple de ce qu’on peut faire en mettant à profit pour l’histoire les connaissances de notre temps. Il a appliqué les découvertes de l’économie politique en recherchant l’état de la production et de la répartition des richesses ; il s’est souvenu des lois de la population pour se rendre compte de la disparition des races conquérantes ; il a utilisé la science ethnographique en s’efforçant de rechercher l’origine des diverses populations, et, par-dessus tout, il a profité de la science politique en examinant quelle était dans chaque contrée la balance des véritables pouvoirs, je veux dire des castes, des êtres collectifs qui représentaient la répartition des forces sociales, et qui, par leurs luttes, produisaient la vie de la communauté. Bien certainement les vieux historiens n’adressaient guère de pareilles interrogations à leurs documens, et, en étudiant de ce point de vue le moyen-âge byzantin, M. Finlay a produit une histoire qui a son côté neuf, et qui peut mettre d’autres écrivains en bon chemin,


J. MILSAND.


V. de Mars.