Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/984

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tête des exaltés que se range une secte de jeunes peintres qui se sont fait connaître sous le nom de préraphaélites. MM. F.-M. Brown, W.-H. Hunt et C. Collins ont un nom dans cette petite église ; mais jusqu’à présent, il faut le dire, leur patience a été plus méticuleuse qu’exacte, et leur simplicité plus prétentieuse que naïve. L’accident d’une forme, pour peu qu’il soit frappant, est calqué avec ostentation, et ses caractères plus essentiels, mais moins à demeure, sont laissés de côté. Des objets minutieux sont représentés sur les seconds plans, et, dans les figures principales du premier plan, le modelé est sans précision. Sous les apparences du scrupule enfin, ce qu’on aperçoit le plus, ce n’est pas un sentiment original des luxueuses complexités de la nature ; c’est plutôt un parti pris de contrefaire le XVe siècle. Le pastiche se dénote partout par ses contradictions. Tandis que chez les vieux maîtres la manière de poser les couleurs était en harmonie avec leurs intentions et leurs particularités de dessin, le trait archaïque s’accouple chez leurs imitateurs avec des empâtemens à la moderne ; les conceptions préraphaélites s’expriment par des moyens inventés pour d’autres buts, et de ces élémens hétérogènes il sort quelque chose de faux qui choque comme une ruine moderne ou comme un méthodique métier où la vapeur est appliquée à imiter les gracieuses irrégularités des tisseurs primitifs de l’Inde.

Parmi les jeunes novateurs cependant, il en est un que nous mettrons à part : c’est M. J.-K. Millais. S’il tient de près aux préraphaélites par sa touche microscopique et ses multitudes de petits contours, nous croyons devoir l’en distinguer, parce que ces particularités, au lieu d’être pour lui le but, semblent simplement le moyen dont il use pour articuler sur sa toile des intentions plus profondes et un sentiment plus exquis. Dans ses deux peintures, l’Amant huguenot et Ophélia, la surabondance des détails nuit sans doute à l’effet général, et les chairs y sont trop épluchées ; mais un mélancolique intérêt est répandu sur les deux toiles, et les têtes y sont d’un naturel expressif et simple.

Analogue par le genre du sujet et par la nature de l’intérêt, la Charlotte Corday allant au supplice, de M. E.-M. Ward, est aussi un travail sérieux, mais non plus dans un sens préraphaélite. Elle présente une si grande ressemblance avec le style et les procédés français, qu’elle pourrait être attribuée à M. Vernet ou à M. Hesse, du moins par des yeux peu familiarisés avec le cachet personnel de ces deux artistes. Comme eux, M. Ward a l’adresse et la propreté du pinceau, la probabilité du drame et cette façon tout imitative de peindre qui demande seulement aux couleurs des mots pour dire ce qui peut se voir. À l’heure qu’il est, du reste, cette voie est celle du plus grand nombre. Par bien des côtés aussi, MM. C. Landseer, F. Stone, T. Uwins, S.-À. Hart, F.-R. Pickersgill, sans parler de plusieurs autres, font songer aux bonnes toiles des expositions parisiennes. Tous sont experts à agencer