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deux ou trois vaudevilles que le directoire et la restauration avaient successivement consacrés aux aventures populaires d’Henri IV. En dépit, ou plutôt à cause du plagiat, l’œuvre qui nous occupe ne manque pas d’une énorme originalité.

La Partie de chasse du roi est dédiée à son altesse Madame première, autrement dit la jeune princesse Améthyste[1],

… Dont la main pare en toute saison
Des Fleurs de la vertu l’autel de la raison,


et que la dédicace, par un amalgame alors très fréquent de la phraséologie de 1794 et de celle de 1815, compare en outre à Antigone, — allusion prématurée qui eût fait probablement couper le cou à Chanlatte, si Christophe avait eu la curiosité de s’enquérir de l’histoire d’Anti-gone, ou si la pièce n’avait largement racheté les imprudences de la dédicace. On a dû, en effet, le deviner : le roi de l’opéra nègre, qui s’appelle, comme dans l’opéra français, « le bon Henri, » n’est ni plus ni moins qu’Henri Christophe, lequel était mis en scène avec les principaux personnages de sa cour, le duc du Môle, le duc de l’Avancé, le duc de Saint-Louis, etc., cachés sous les innocens anagrammes de Saint-Lousi, de Lévança et de Lemo. L’action se passe dans la paroisse de la Grande-Rivière. Au lever du rideau, de jeunes Haïtiennes, mêlées à un bataillon des royal-dahomets[2], célèbrent, dans une forêt, entre « l’autel de la patrie » et « l’autel de la liberté, » l’anniversaire de la fête de l’indépendance. L’opéra débute en patois créole :

CHŒUR.

Ah ! guié ! ah ! guié !
Ah ! qui doue’ réjouissance !
Bon guié ! bon guié !
Ce bagag qui bloui gié !

N’a semblé tout samba,
N’a sonné bamboula,
N’a dansé bambocha,
Oui n’a fait calinda[3]. (bis)

  1. Cette princesse Améthyste, qui s’est mariée plus tard en Italie, était une jeune personne réellement distinguée. Nous avons eu sous les yeux une lettre qu’elle écrivit, au nom de sa mère, au président Boyer, et il y perce à la fois beaucoup d’instruction et beaucoup d e tact.
  2. Christophe avait baptisé ainsi la milice de son royaume en souvenir du royaume de Dahomey. Par une réminiscence analogue, il avait affecté à la garde de la reine un corps d’amazones qui avait pour capitaine l’ex-impératrice Dessalines.
  3. « Dieu ! Dieu ! quelle douce réjouissance ! Bon Dieu ! bon Dieu ! — c’est à vous éblouir les yeux ! — Assemblons tous les sambas, — sonnons la bamboula, — dansons la bambocha, — oui, faisons calinda ! » (Par un malentendu pour lequel nous pourrions invoquer bien des circonstances atténuantes, nous avons, dans un précédent article ; appelé zambas les sorciers-ménétriers-poètes-improvisateurs du pays. La véritable orthographe est sambas.)