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du commun des hommes. La magie ou la sorcellerie n’est que l’abus que quelques fourbes méchans ou intéressés font de certaines découvertes ou des connaissances qui appartiennent à la physique.

« FRANÇOIS. — Je suis trop ignorant pour pouvoir apprécier les merveilleux secrets de la physique ; mais je suis tenté de croire que nos papa-loi sont aussi malins que nos physiciens. J’ai toujours admiré vos théories et vos belles expériences, etc. ; mais rien ne m’étonne tant que de voir un sorcier rester sous l’eau pendant une semaine, sans boire ni manger, un autre faire accoucher une femme qui était enceinte depuis trois ans, un autre recevoir dix coups de sabre qui ne font que blanchir sur sa peau[1], un autre…

« GELANOR. — la crédulité est grande. Ces sorciers sont, te dis-je, des fourbes et des malfaiteurs. Celui qui prétendit avoir demeuré si long-temps sous l’eau est mort d’inanition dans un cachot ; celui qui fit avorter la femme pour avoir son enfant et le détruire a été livré au glaive de la justice ; celui qui se disait invulnérable n’a pu parer la balle qui a mis fin à sa jactance.

« FRANÇOIS. — Vous me direz aussi qu’un respectable personnage, qui était fort malade, n’a pas été guéri par un papa-loi qui lui a fait sortir par les jambes des crapauds, des lézards, des couleuvres.

« GELANOR. — Cette prétendue extraction n’est qu’une supercherie. Le simple bon sens suffit pour faire concevoir combien il est ridicule de croire que des animaux sont sortis de la jambe d’un homme sans qu’on puisse découvrir l’ouverture par laquelle ils ont été expulsés. Ce genre d’escamotage est tombé dans le mépris depuis qu’on a châtié un des imposteurs qui vivent aux dépens de la crédulité des bonnes gens. Un jeune homme, ayant feint que sa mère avait des maux de tête insupportables, manda un papa-loi fort renommé. Ce rusé compère, s’étant rendu à l’invitation, fit d’abord quelques simagrées en voyant la malade supposée ; puis il ordonna qu’on lui apportât de l’eau bouillante dans une terrine ; il y mit quelques feuilles et y glissa adroitement une boule de cire dans laquelle il avait caché une certaine quantité d’épingles. Il fit ensuite laver la tête de la prétendue malade. La chaleur de l’eau ayant fondu la cire, les épingles tombèrent au fond de la terrine. Le papa-loi cria au miracle, et, montrant aussitôt les épingles, il voulut faire croire qu’elles étaient sorties de la cervelle de la femme qu’il traitait ; mais le jeune homme, qui avait tout observé, tomba sur le sorcier à grands coups de nerf de bœuf, et il lui aurait peut-être fait rendre l’ame, si ce misérable n’avait avoué devant tout le monde qu’il se servait ordinairement de pareils moyens pour gagner sa vie.

« FRANÇOIS. — Ce sorcier-là était un sot. Parlez-moi de celui qui, au commencement du mois d’août dernier, a fait rendre à une jeune fille de la capitale des cigares, du coton et des clous par la bouche, par les narines et par les oreilles, etc. »

  1. Cette croyance à l’invulnérabilité produite par certains charmes vaudoux, invulnérabilité qui ne se rapporte d’ailleurs qu’aux armes blanches, est encore très vivace en Haïti. En 1846, par exemple, un certain commandant Brunache, qui assistait à un duel, se mit à railler le blessé, et, sur la foi d’un de ces charmes, paria de se laisser tomber impunément sur la pointe de son sabre. Le pari fut accepté, et le parieur embroché.