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succès facile, voulurent attaquer Edina même; mais l’assistance du chef indigène Boh-Grey et la bonne contenance des habitans les forcèrent à reculer. On apprit alors qu’un chef noir, Joé-Harris, avait dirigé l’attaque, à instigation du capitaine d’un bâtiment négrier qui l’avait menacé d’aller faire la traite ailleurs, s’il ne se débarrassait du voisinage des Américains. Joé-Harris ne tarda pas à s’apercevoir qu’il avait fait une grande faute; il envoya proposer, avec des réparations pour les dommages causés, une cession de territoire et toutes garanties pour l’avenir. Le village fut rebâti, par mesure de sécurité, à deux milles au nord de celui qui avait été détruit et s’était d’abord appelé Port-Cresson. Le nouvel établissement fut mis à l’abri des attaques des négriers, et, sous le nom définitif de Bassa-Cove, fit de rapides progrès.

L’année 1839 marque une date solennelle pour l’état naissant : elle fut signalée par l’entrée de la Libéria dans les voies d’une organisation politique régulière. Des établissemens particuliers avaient été fondés par diverses sociétés de colonisation, et on n’avait jamais pu s’entendre sur des mesures d’intérêt général. On sentit alors le besoin de centraliser le pouvoir. Un comité fut nommé pour rédiger un projet de constitution avec l’approbation de la Société américaine de colonisation, et le projet devint définitivement la loi du pays en avril 1839; en voici les principaux articles :

« Article 1er — Les pouvoirs législatifs seront remis aux mains d’un gouvernement et d’un conseil, mais les lois édictées par eux pourront être révoquées par le conseil de colonisation.

Article 2. — Le conseil se composera de représentans élus par le peuple et dans une juste proportion. Le territoire sera divisé en deux comtés. Les districts de Monrovia, Caldwell, Millsburg et New-Georgia constitueront un comté qui prendra le nom de comté de Mesura de et enverra six représentans. Bassa-Cove, Marshall, Bexley et Edina formeront un comté sous le nom de Bassa et enverront quatre représentans.

« Article 15. — Le pouvoir judiciaire sera confié à une cour suprême et à telles cours inférieures que le gouvernement et le conseil pourront instituer. Le gouverneur sera ex officio chef de la justice de Libéria.

« Article 20. — L’esclavage n’est pas admis.

« Article 21. — Le commerce des esclaves est interdit à tous les citoyens de la Libéria, soit en dedans, soit en dehors des frontières de l’état.

« Article 23. — Le droit au jugement par jury et le droit de pétition seront inviolables.

« Art. 25. — Tout citoyen mâle âgé de vingt et un ans jouira du droit de suffrage.

« Article 26. — Toutes les élections auront lieu au scrutin. »

Une discussion assez vive s’était élevée dans le comité de rédaction de la constitution sur la question des récompenses à donner aux missionnaires, agens et autres personnes de couleur blanche qui avaient rendu des services au pays. Le président voulait qu’on leur accordât des terres, mais le comité s’y opposa, et on finit par déclarer à l’unanimité, et avec l’approbation de la Société de colonisation, qu’aucun blanc ne pourrait être propriétaire foncier en Libéria. C’était, selon moi, une prescription fort sage, car l’activité et l’intelligence pratique des blancs n’auraient pas tardé à envahir toutes les positions.