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n’eut pas tout le succès désirable, mais elle contribua puissamment à faire apprécier à sa valeur l’état de Libéria et à faire pénétrer des germes d’humanité et de civilisation parmi des tribus sauvages. Un missionnaire attaché à l’ambassade parvint même à fonder une école à Bo-Poro, capitale des états du roi Boatswain, et à donner à quelques-uns des naturels le désir d’apprendre l’anglais. Le roi envoya immédiatement à Monrovia une caravane composée de trois cents hommes qui conduisaient une grande quantité de marchandises, et particulièrement du riz, de l’ivoire, des étoffes et du camwood[1].

En 1835, la société particulière de la colonisation des jeunes gens de la Pensylvanie[2] envoya des agens chargés de traiter avec le gouvernement de Libéria pour la fondation d’une nouvelle colonie. Le point choisi fut Bassa-Cove, sur la belle rivière Saint-Jean, vis-à-vis Edina, et ce choix était d’autant plus heureux, qu’indépendamment de ses avantages naturels pour le commerce intérieur et extérieur, on avait l’espoir fondé de détruire encore un des principaux foyers de la traite des noirs. Bien que reliée à la colonie mère et devant agir d’accord avec elle, cette nouvelle colonie manifesta le désir d’introduire dans son administration intérieure certaines prescriptions particulières tendant à moraliser aussi bien les colons que les indigènes avec lesquels on pourrait établir des rapports. En conséquence, on demanda aux nouveaux colons de consentir : 1o à l’entière abstinence de toute liqueur spiritueuse, — 2o à une renonciation complète au commerce des liqueurs spiritueuses et aux arts de la guerre, — 3o à la propagation immédiate du christianisme parmi les populations idolâtres du voisinage. Le noyau de la nouvelle colonie fut composé avec grand soin d’hommes connus pour leur habileté dans divers métiers aussi bien que pour leurs sentimens honorables. On y comptait cent vingt-six personnes, et, parmi elles, des forgerons, des charpentiers, des cordonniers, des tisserands, des tailleurs, des fileurs, des briquetiers et des maçons. — Avant de s’embarquer pour l’Afrique, ils se constituèrent en société de tempérance, et jamais peut-être commencemens d’établissement n’eurent heu sous de plus favorables augures. Reçus à bras ouverts dans la Libéria, les nouveaux arrivans furent conduits à Bassa-Cove, où ils se mirent à l’ouvrage avec ardeur. Au bout de sept mois, les émigrans étaient logés convenablement dans dix-huit bonnes maisons, entourées de terrains cultivés donnant l’espoir d’une abondante récolte. Une maison pour le gouvernement fut construite ; elle avait 50 pieds de long sur 20 de large, deux étages et un jardin de deux acres bien fourni et bien clos.-— Tout allait donc au mieux, lorsqu’on s’aperçut d’un refroidissement sensible dans les relations avec les naturels. Le chef de la colonie, homme faible et confiant, refusa les secours qu’on lui offrait, et, malgré l’évidence, ne voulut jamais croire aux mauvaises intentions de ses voisins. Le lendemain du jour où les volontaires d’Edina venus au secours des émigrans et renvoyés par leur chef repassaient la rivière Saint-Jean, Bassa-Cove fut attaqué par les sauvages, dix-huit habitans furent tués ou blessés ; le reste s’enfuit, les maisons furent incendiées et les plantations détruites. Les assaillans, enflés par ce

  1. Bois de teinture de l’espèce du bois de Nicaragua et donnant une couleur rouge.
  2. Pensylvania young men’s colonization society.