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défaite des Hongrois était complète ; Goergei se réunit, à Grosswardein avec ce qui restait des troupes de Nagy-Sandor. Tant de marches, de travaux et de privations avaient épuisé cette armée, que son général aux abois voyait de jour en jour diminuer et se fondre. La guerre de partisans n’était même plus soutenable à cette heure. Goergei alors se retira sur Arad pour y faire sa jonction avec l’armée du sud et y prendre, d’après les ordres du gouvernement, le commandement supérieur de toutes les forces militantes de la Hongrie. Comme il était campé dans Alt-Arad, Kossuth, toujours en incubation de fourberies nouvelles, dépêcha de la citadelle d’Arad un courrier chargé de l’informer que les Autrichiens venaient d’être battus à plat. Naturellement l’histoire était fausse. Goergei n’eut pas de peine à s’en douter, et ses pressentimens ne furent que trop justifiés, lorsqu’il apprit quelques heures plus tard l’entière déconfiture de Dembinski, lorsqu’il sut que Bem, après être parvenu à prolonger d’un moment la bataille, n’en avait pas moins essuyé une déroute telle que de cinquante mille hommes (et cela de l’aveu de Kossuth lui-même), il lui en restait tout au plus six mille. Le 10 août au soir, Goergei fit son entrée dans la citadelle d’Arad ; le 11, il prenait la dictature, et le premier usage qu’il faisait de ses pouvoirs discrétionnaires sur la nation et sur l’armée était de conclure avec le prince de Varsovie, par l’entremise du général Rüdiger, l’acte de capitulation qui devait le surlendemain recevoir son exécution à Vilagos. On se tromperait fort à croire que Goergei eût attendu jusque-là pour agiter dans sa pensée des projets de capitulation avec la Russie. « Dès que la Hongrie doit succomber, peu importe laquelle des deux puissances de la Russie ou de l’Autriche lui frappera les derniers coups ; mais ce qui nous intéresse, c’est de savoir à laquelle des deux elle restera en partage ; ce qui nous intéresse, c’est que les suprêmes efforts de notre désespoir atteignent celle-ci plutôt que celle-là. » Ainsi parlait Goergei le 26 juin, dans le dernier conseil où il siégea en qualité de ministre de la guerre[1], alors que l’invasion de l’armée russe, écartant d’emblée toute idée de salut ultérieur, ne laissait plus debout qu’une question : vendre le plus cher possible son agonie à l’ennemi qu’on détestait davantage. Or cet ennemi, qui en doute ? c’était l’Autrichien abhorré, l’Autrichien premier coupable, en fin décompte, de tous les maux infligés à la patrie madgyare. Multiplier les rencontres avec les impériaux et leur porter les plus fréquentes et les plus douloureuses blessures, en attendant la venue des Russes ; les Russes une fois en présence, entamer avec eux des négociations pacifiques, — voilà quels furent véritablement les principes de la politique de Goergei pendant cette période de convulsion. Et cette politique, il n’en fit point

  1. Mein Leben, t. II, p. 189.