Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il lui fallut alors revenir à son ancien échiquier du nord de la Hongrie. Prompt à l’action, habile à réparer ses pertes, déjouant par ses marches et contre-marches tous les calculs de l’ennemi, le rapide, l’adroit, l’insaisissable Goergei eut beau multiplier les prodiges, se montrer sur vingt points à la fois, être partout et nulle part : tant de présence d’esprit, de valeur, de talens militaires, ne devaient aboutir qu’à de stériles résultats, et le destin avait d’avance marqué l’heure où cette infatigable armée passerait sous les fourches caudines de Vilagos. C’était à cette époque une belle et redoutable armée que celle-là. À l’instar de Zumalacarreguy, Goergei l’avait en quelque sorte fait sortir de terre. Que de vaillans soldats s’étaient révélés dans ses rangs, que d’illustres chefs s’étaient montrés, qui dans d’autres circonstances n’eussent jamais rêvé la gloire des champs de bataille ! Involontairement cette guerre de Hongrie vous rappelle par instans nos guerres de la Vendée et leurs généraux improvisés, les Ronchamp, les Stofflet, les Gaston ! Et la honved jadis tant bafouée par Goergei lui-même, qui l’aurait maintenant reconnue ? Comme en lions rugissans tous ces lièvres d’autrefois s’étaient changés ! Efforts superflus, vaine résistance, les Autrichiens et les Russes avaient engagé la partie de manière à ne laisser à leur antagoniste aucune chance, et le maréchal Paskiewistch, aussi bien que le baron Haynau, pouvaient, comme ce fameux joueur d’échecs arabe, indiquer d’avance au général hongrois dans quelle case ils le feraient mat. Pendant plus d’un mois, les troupes de Goergei manœuvrèrent à travers des forêts de baïonnettes russes et de piques cosaques. « Il me trompe toujours, cet homme ! » s’écriait le comte d’Erivan. N’importe, la partie était perdue, et ni la vigoureuse résistance de Goergei à Sajo, ni sa brillante affaire de Hernad ne pouvaient changer le sort des armes. Tout ce qu’il obtenait à force d’audace et de périlleux coups de main, c’était de ralentir la marche des Russes. « Nous avançons péniblement, écrivait le prince Paskiewistch dans un de ses bulletins, parce qu’il est impossible en ce pays de se procurer le moindre renseignement sur la position de l’ennemi. Tous les habitans tiennent pour Goergei, et je ne puis, à quelque prix que ce soit, avoir d’espion. »

Cependant le 2 août, vers deux heures du matin, les Russes tombaient sur Nagy-Sandor. Les Hongrois étaient parvenus à cacher si adroitement leur artillerie dans les champs de maïs qui entourent Débreczin, que les batteries russes durent arrêter leur feu et se retirer ; néanmoins, il ne manœuvre en liane du général Gillenschmidt ayant forcé l’artillerie hongroise de changer de position, elle se vit tout à coup attaquée et mise en déroute par les masses de la cavalerie russe. Ce mouvement décida de la journée ; le corps d’armée de Nagy-Sandor prit la fuite du côté de Débreczin, harcelé par les cavaliers musulmans et cosaques qui le poursuivirent jusqu’à travers les rues de la ville. La