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Miguel, puis le 49e honveds, qu’on appelait les bonnets rouges. Les Autrichiens se battaient comme des lions. Calme, résolu, impassible, le vieux Hentzi dirige la défense. Tout à coup une balle l’atteint, et il tombe sur la brèche au moment où les Hongrois vont triompher. Vers quatre heures, Goergei, dont la lunette est restée braquée sur le donjon de Wissembourg, y voit flotter l’étendard madgyar. « Enfin, s’écrie-t-il, vivent les trois couleurs ! vive la honved ! » Aussitôt un commissaire du gouvernement s’approche et lui demande s’il ne doit pas envoyer à Débreczin les nouvelles de la victoire. — « Souvenez-vous de Mélas à Marengo, lui répond sèchement le jeune général en chef ; vous, monsieur, vous pouvez le faire. Quant à moi, je n’oserais encore m’y risquer. » La citadelle fut prise. En témoignage de sa haute satisfaction pour un si beau fait d’armes, Kossuth prétendit investir le vainqueur de la dignité de lieutenant-feld-maréchal, et, prodigue en ses munificences, le dictateur joignit à ce nouveau grade le diplôme de grand’-croix de l’ordre du mérite militaire. Goergei ne serait plus ce héros sceptique et frondeur que nous connaissons, s’il se fût laissé prendre à de telles misères. — « Lorsqu’autrefois, dit-il, j’acceptai la seconde classe de cet ordre dont vous m’offrez les honneurs maintenant, il n’y avait point encore de république en Hongrie. Aujourd’hui de pareilles distinctions n’ont plus de sens, et vos législateurs de Débreczin devraient savoir que, dans nos institutions nouvelles, il n’existe désormais que de simples généraux parmi lesquels, en temps de guerre, on en choisit un pour commander en chef. »

J’ai mainte fois ouï dire que Goergei, pendant le siège d’Ofen, fit tirer à boulets rouges sur le Burg royal pour empêcher Mme Kossuth, qu’il détestait au fond de l’ame, d’y établir jamais sa cour. Ce Burg, ancienne résidence de l’archiduc palatin, est construit sur l’emplacement de l’antique château des rois de Hongrie, lequel fut mis en ruines au temps des Turcs. C’est un vaste et pittoresque bâtiment dont il faut surtout louer l’admirable situation au bord du plateau du Schlossberg. Là résidait la fameuse couronne de saint Étienne, ce mystique diadème qui, selon la tradition constitutionnelle, avait seule le don de conférer la royauté madgyare, sacra regni corona cum clenodiis suis ! Dans la loi historique hongroise, différente en cela du principe de la vieille monarchie française, le roi meurt, et, durant l’intervalle qui s’étend d’un souverain à l’autre, c’est la couronne, prise non plus au figuré, mais en quelque sorte à l’état personnel, qui règne, et cela jusqu’à ce que le nouveau monarque l’ait épousée. Alors seulement que le diadème de saint Étienne a touché votre front, vous êtes roi de Hongrie, sinon non ; de là le terme si souvent usité : Neocoronata sanctissima majestas. On voit que nous n’avons point tort de parler de cette couronne comme d’une individualité royale. Elle résidait en effet