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plus flagrantes insubordinations à l’égard du général Vetter, dont il bafouait les talens militaires et qu’il narguait à tout propos, disant qu’il était impossible qu’un homme aussi laid fût un bon capitaine. Les choses en étaient là lorsqu’un matin Goergei reçut de son camarade un billet laconique ainsi conçu : « Cher cœur de frère, nous en voilà enfin débarrassés ; le Vetter est au lit avec une fièvre bilieuse à laquelle je puis me vanter, pour ma part de n’avoir pas médiocrement contribué. — Damjanich. »

Force fut à Kossuth de faire à mauvais jeu bonne mine et de rendre alors à Goergei ce bâton de commandement dont, par sa brillante campagne d’avril, le jeune généralissime prouva sur-le-champ qu’il était digne. On connaît quel avait été jusque-là le plan militaire de Goergei : se retirer dans l’intérieur du pays tout en harcelant les Autrichiens sur divers points, de manière à les contraindre à étendre à l’infini leurs lignes d’opérations. À dater de ce moment, l’armée hongroise change de système, et, se retournant contre l’ennemi, prend tout à coup une vigoureuse offensive. Après avoir refoulé les Autrichiens depuis Hatvan jusque devant les murs de Pesth, Goergei laisse là dix ou douze mille hommes sous la conduite d’Aulich pour tromper le maréchal Windisch-Graetz et lui faire croire à la concentration des forces hongroises sur ce point. Quant à lui, Goergei, il se retourne avec le gros de son armée du côté des Karpathes et vient rejoindre Damjanich devant Waitzen. Là dix mille Autrichiens commandés par le général Goetz sont attaqués par les Hongrois. Le combat se poursuit dans les rues avec un acharnement terrible. Au plus fort de la mêlée, la balle d’un étudiant qui tire des fenêtres d’un pensionnat vient frapper à mort le général Goetz, et c’est Goergei qui reçoit dans ses bras le dernier soupir de l’officier autrichien. Le lendemain, noble et solennelle façon de consacrer ses succès de la veille, Goergei accorda à la dépouille restée en son pouvoir du général ennemi de généreuses funérailles. Quatorze bataillons de honveds suivaient le cercueil de l’officier impérial, et cent coups de canon saluèrent son inhumation. Les papiers trouvés sur le général Goetz, ainsi que ses dernières volontés, furent en outre, par ordre du chef madgyar, remis au quartier-général du prince Windisch-Graetz. Goergei se porta ensuite à marches forcées vers Leva, battit Wolgemuth à Nagy-Sarlo, et le 20 avril entra victorieux dans Komorn.

Cependant, du haut de la citadelle d’Ofen, les canons du maréchal prince Windisch-Graetz continuaient de rester braqués sur la capitale historique de la Hongrie, et si la diète et le gouvernement avaient à bon droit reconnu que Pesth et Ofen étaient, au point de vue stratégique, d’une importance secondaire, au point de vue de l’orgueil madgyar la chose changeait d’aspect. Ces victoires successives, dont la fortune,